mercredi 8 octobre 2014

La Perruque


Montélimar. On s'était donné rendez-vous, là, devant la gare. Elle avait passé dix jours dans un monastère, dans la Drôme. Je lui avais écrit pendant ces dix jours, complètement affolé à l'idée de la perdre, que peut-être elle ne voudrait plus me voir. Sur son iPod, je lui avais mis la Chaconne de Bach-Busoni que j'avais enregistrée en concert. C'était une manière pour moi de ne pas être complètement absent. J'ai su après qu'elle l'avait beaucoup écoutée. Je ne revois que la gare, quelques petites routes, et puis ce bistro à Montélimar où elle m'avait dit : « Je voudrais que tu choisisses avec moi la perruque que je vais bientôt devoir porter. » Ça m'avait énormément touché. Nous étions aussi allés chez Chabert acheter du nougat. 

En sortant de l'IRM, nous étions allés aux Nouvelles Galeries acheter des sous-vêtements pour elle. Une des premières choses dont elle a eu envie après avoir su qu'elle avait un cancer, c'était de beaux dessous. 

Elle m'a dit, très tôt, même quand elle était follement amoureuse de moi : « Je sais comment ça va finir ; je vais rester seule. » Ça me terrorisait de l'entendre parler comme ça. 

On avait fait l'amour par terre, presque sous le piano. Je lui avais joué les Bunte Blätter, de Schumann. C'était sale, par terre. « Ça ne fait rien, j'en ai envie. » Je me souviens de cette fois où j'étais assis sur la chaise du piano ; elle était à califourchon sur mes genoux. J'avais les mains dans son dos, à même la peau, et j'avais joué la quatrième ballade opus 10 de Brahms sur elle. 

De temps en temps elle se mettait au piano et jouait toujours la Fantaisie-impromptu de Chopin, et puis aussi le début d'un nocturne, celui en mi mineur. Je revois ses mains, petites, et la manière qu'elle avait de se tenir au piano, de ne pas être dans ce qu'elle faisait. 

J'avais pris son crâne entre mes mains. Elle était nue et se cachait sous les draps pour que je ne la vois pas sans cheveux. J'avais remonté sa tête à hauteur de la mienne, petit à petit, et elle s'était laissé faire. Un petit crâne. Elle avait encore quelques cheveux. Après nous sommes allés à la salle de bains et je l'ai rasée. Il n'y a que moi qui l'ai vue ainsi. Plus nue que nue. Si fragile, si menue. J'ai tellement aimé ça, ce crâne sans cheveux, ce sexe si doux… J'aurais aimé qu'elle reste comme ça. Comme ça, c'est-à-dire à moi, rien qu'à moi. 

Finalement, la perruque que nous avions achetée à Montélimar, pourtant après de longs essayages, elle ne l'a jamais utilisée. Elle en a acheté une autre. Plus sobre, plus sage, plus passe-partout. Elle ne s'aimait pas du tout comme ça, bien sûr, bien qu'elle fût tout de même très belle. Elle penchait un peu la tête et mettait sa main droite dans sa poche. Elle parlait encore plus bas que d'habitude. J'étais toujours obligé de lui faire répéter ses paroles. 

(…)