lundi 19 août 2013

Petit portrait en prose (6)



Georges avait compris que mimer la jalousie donnait à son amour pour Gabrielle le petit supplément d'âme qui rendait leurs ébats plus brûlants, plus déchirants. Cette pincée d'épices qui au commencement leur était délicieuse leur devint très vite nécessaire. Elle en redemandait et il obtempérait avec la secrète jouissance de celui qui a l'initiative. Il était chaque jour un peu meilleur, plus convaincant parce que plus convaincu. Il jouait d'autant mieux son rôle d'amant jaloux que Gabrielle ne lui donnait aucune raison de l'être. 

Au bout d'un certain temps, pourtant, elle se lassa de cet amant jaloux qui lui faisait des scènes pour un rien. Ça ne l'amusait plus, ça ne la séduisait plus, et elle crut même qu'il était devenu réellement jaloux, ce qui était un comble, puisque dans le même temps elle s'était mise à le tromper pour de bon. 

Quand Georges apprit que Gabrielle avait quelqu'un, il comprit du même coup qu'il fallait cesser d'être jaloux, sous peine de la perdre, et qu'il lui fallait retrouver son être ordinaire, son être d'avant, qui était celui de l'amant qui n'est pas jaloux, qui a confiance, qui ne cherche pas à savoir. Mais ce Georges qui n'était pas jaloux parce qu'il avait confiance, qui ne cherchait pas à savoir, pouvait-il exister alors qu'il savait que celle qu'il aimait le trompait ? Il ne pouvait pas être jaloux, et il ne pouvait pas non plus ne pas l'être. Désormais il ressentait cruellement cette jalousie qui ne pouvait exister alors qu'il n'avait jamais ressenti auparavant la jalousie qui devait exister. Il était passé d'un rôle à l'autre sans jamais être celui qu'il était pourtant sincèrement, avec toute son honnêteté d'amoureux bénévole

Gabrielle, le plus sincèrement du monde, lui fit alors toutes sortes de reproches, parmi lesquels celui d'être un calculateur et un être faux qui l'avait trompée dès le début de leur relation, et qui, peut-être, ne l'avait jamais vraiment aimée. Quand on joue à être jaloux, c'est qu'on n'aime pas ! Au mieux il était quelqu'un de léger et c'est précisément cette légèreté qui l'avait conduite à le tromper. Si elle l'avait trompé, c'était de sa faute à lui, c'était parce qu'elle avait compris enfin qu'il ne l'aimait pas, qu'il se forçait à l'aimer comme il se forçait à être jaloux. Comment avait-elle pu être aussi naïve ? On ne l'y reprendrait plus !