jeudi 3 mai 2012

Plus ou moins…

Je parie quatre caisses de champagne, avec moi-même, que Nicolas Sarkozy va être réélu. Il faut savoir prendre des risques. 

Mais j'ai bien du mérite. Repensant à cette belle formule dont je ne parviens pas à me rappeler à qui on la doit (saint Augustin ?) : « Plus est en l'homme. », je me suis dit hier-soir que "Moins était parmi nous", et qu'il avait de la carrure, écrasant au passage tout ce qui faisait mine de croire encore, ne serait-ce qu'un peu, au signe +. Ces deux là, Sarkozy et Hollande, loin d'être les deux "champions" qui s'affrontent pour offrir leurs services à la République, nous semblaient en montrer le pire, de cette république, ou pas loin. On est habitué, désormais, avec les pipoles et les acteurs, à voir parader sur scène les derniers de la classe, mais je dois confesser tout de même qu'un soir d'élection présidentielle, ce spectacle réussit à nous tirer de la torpeur démocratique qui donne aux minus des allures de sénateurs romains. 

Cela fait un certain temps maintenant qu'il ne s'agit plus d'ajouter à l'Homme, mais de le raccourcir de toutes les façons, y compris littéralement. Et d'ailleurs, ajouter quoi ? Des téléphones portables, des écrans plats de trois mètres de long, des voitures, des iPads, des fêtes, des antidépresseurs (c'est la même chose), de la "durée de vie", du tourisme, de la banlieue au kilomètre, du commerce équitable ? On a commencé, avec beaucoup de raisons (et de raison), par raccourcir le vocabulaire, le sentiment du passé (c'est-à-dire l'extension de l'Homme dans le temps, son agrandissement temporel, sa projection dans ce qui n'est pas le présent (le remplacement du mot "avenir" par celui de "futur" étant bien entendu significatif : l'avenir est ce qui va venir, ce qui va arriver, alors que le futur n'est qu'une idée assez floue, vague, qui n'engage pas à grand-chose)), par réduire le divers (le vrai, pas "la diversité" du catéchisme contemporain, qui en est l'exact contraire), les sentiments, la pudeur, la vergogne, par intimider la dignité, pourtant résiduelle, que certains croient devoir maintenir peu ou prou en leur vie. 

Ce n'est pas le cas de Régis Debray, que j'ai vu l'autre soir, face à Henri Guaino, se livrer à un petit cinéma déshonorant de vieux paysan madré, mesquin (rendez-lui sa moustache !), et pour tout dire d'une tristesse achevée (ça se voit surtout quand il se met à sourire, comme pris en faute par lui-même). Il vaut mieux lire Régis Debray que de le voir faire allégeance à "sa famille politique" avec des circonvolutions et des méthodes minables d'avocat en fin de carrière qui défend ceux qui le paient. Le pauvre ! N'a-t-il pas retenu la leçon qu'il livre lui-même dans son ouvrage, l'Emprise ? Bien sûr, il faut vivre et faire vivre sa famille, gagner sa croûte, et donc publier, et l'on peut comprendre quelqu'un qui abjure sa foi sous les coups de trique redoublés de la caste qui détient tous les pouvoirs aujourd'hui… Le problème est qu'il avait en face de lui Henri Guaino, c'est-à-dire pas tout à fait n'importe qui, et qu'il aurait pu tout de même avoir la décence de tenir compte de ce contexte là. Par contraste, ce dernier ne m'a jamais paru aussi bon, aussi digne et élégant, se privant même de relever les mauvaises manières de son honteux contradicteur, alors qu'il aurait eu plusieurs fois la possibilité de prendre Debray à ses propres contradictions et de retourner les grossières manœuvres du médiologue à l'envoyeur. La morale n'était évidemment pas du côté qu'on aurait voulu croire. L'un est à plaindre, je parle de Guaino, qui soutient un président inconsistant politiquement, l'autre n'est pas à plaindre, Debray, car il n'était pas obligé, tout de même, même avec sa très longue cuillère courbe, de servir la soupe à cette gauche française si lamentable, comme allait nous le démontrer une fois de plus l'inénarrable Ségolène Royal, interrogée juste avant le "duel" auquel participait celui avec lequel elle avait partagé sa vie de longues années durant. Relisant la phrase que je viens d'écrire, je me dis que "lamentable" est encore trop faible, mais il n'est pas nécessaire d'insister, je crois, car tous les Français le savent tellement que leur vote — en faveur de cette même gauche — a des allures de suicide collectif programmé, qui n'a d'avantage sur l'autre proposition en lice que la rapidité et la radicalité du traitement. Il n'était que de voir cette pauvre fille, la jolie blonde aux joues pleines et rougies par l'excitation, interrogée peu avant le débat, dans un état proche de la transe, et qui, jouissant en direct live, gesticulait son amour à François Hollande. N'importe quel hippopotame d'Afrique aurait été atterré par ce spectacle si humain, si d'aventure on avait placé des écrans plats dans la savane, chose qui ne devrait pas trop tarder. Je sais bien que le pouvoir est un puissant aphrodisiaque, mais tout de même, il y a des limites à l'hystérie et au mauvais goût.

Quoi qu'il en soit, le terrible est que ces deux là n'aient pas de rivaux. La gauche méprise Sarko, la droite méprise Flamby, les Réacs méprisent tout le monde, les gauchistes rejouent une fois de plus leur numéro, à sillon fermé, mais une société a les hommes politiques qu'elle mérite ! J'entends beaucoup de Français se plaindre, dans leur salon, de la triste comédie qui nous est offerte en ce moment, mais, lorsqu'on parle avec eux, on trouve que le panorama politique s'accorde assez bien à leur salon. Il est grand temps de s'occuper ailleurs, de s'occuper d'autre chose. Il y a des jours où le titre de Simon Leys : Orwell ou l'Horreur de la politique semble nous faire de l'œil dans le noir.