samedi 4 novembre 2017

Le dur métier



Encore dix-neuf de mes élèves qui vont avoir leur bac cette année, maintenant j'en suis sûr. Je ne sais comment endiguer le phénomène qui va finir par me faire remarquer de mes collègues. Je rase les murs. Je ne vais plus dans la salle des profs, j'arrive juste à l'heure pour mes cours et je repars immédiatement une fois ceux-là terminés. Je suis très poli avec tout le monde. 

J'ai pourtant fait de gros efforts, cette année, pour rendre mes élèves "inéligibles", comme disent mes chers collègues. Je leur ai parlé de Pascal, de Dante, de Claudel et de Davilá. Je leur ai fait écouter des quatuors de Beethoven, je leur ai parlé des lieder de Wolf, je les ai amenés voir Bérénice, de Racine. Je pensais avoir fait le maximum, mais visiblement ça ne suffit pas. 

L'autre jour, j'ai croisé le professeur de mathématiques, et j'ai trouvé qu'il me regardait un peu trop longuement. Nous n'avons prononcé que des paroles de circonstances, mais j'ai trouvé son regard insistant, même s'il a pris soin d'être légèrement désinvolte en me serrant la main. Il ne m'a fait aucun reproche, je sais bien, mais je suis sûr qu'il y avait quelque chose… Un peu plus tard dans la même journée, en allant aux toilettes, c'est le professeur d'espagnol qui a souri d'une manière que j'ai trouvée inquiétante. Elle n'a que sept élèves qui ont eu leur bac l'année passée, ce qui la met à l'abri de tout reproche, elle.

Si je ne trouve pas une solution, je serai l'année prochaine dans une position très inconfortable. Pour l'instant j'ai réussi à éviter une convocation du proviseur ou de l'inspecteur d'académie, mais je sens bien que ça ne va pas durer. Un ami me conseille d'inviter Renaud Camus à venir faire des interventions dans mes cours. Je vais peut-être devoir en arriver là, en effet, bien que l'écrivain me semble trop en cour auprès de ma hiérarchie. 

J'ai toutes les vacances d'été pour réfléchir à cette situation périlleuse, heureusement. Il faut impérativement que je descende au-dessous de la quinzaine d'élèves reçus au bac — je n'ose espérer atteindre la dizaine !