Il y a beaucoup de choses qu'on ne peut plus faire, et c'est malheureux. Mais il y a aussi, et c'est très heureux, des choses qu'on peut faire et qu'on n'aurait jamais pu faire avant.
Je pense au corps de la femme. Depuis quelques années, j'ai en tête un film sur le corps de la femme, un film que je ne vois pas, que je n'ai jamais vu (mais bien sûr je ne connais pas tout), et ce qui me rassure, paradoxalement, c'est que personne ne comprend de quoi je parle, quand j'essaie — très rarement — de décrire ce que je voudrais faire. Si personne ne comprend de quoi je parle, c'est bien que ces images-là n'ont jamais été faites. La pornographie (mais aussi la publicité) a rendu possible, et même, a rendu nécessaire, ces images-là, celles que j'ai en tête.
Quand on parle du corps, et du corps des femmes, tout particulièrement (parce qu'il est évident que les corps des hommes ne parlent pas de la même manière, n'ont pas la même histoire, ne relèvent pas de la même culture), les oreilles de nos interlocuteurs se bouchent immédiatement — leurs oreilles et leur imagination. Ils oscillent perpétuellement entre la pornographie et la peinture, entre l'académisme et la crudité, entre la mièvrerie et la sauvagerie, entre l'anatomie et la psychanalyse.
Je ne crois pas que les images dont je parle soient envisageables comme photographies. Je suis presque certain que la seule manière de les obtenir serait de filmer, ou, du moins, de produire une image animée, ce qu'on appelle un film.
Il y a, je crois, quelque chose comme un cantus firmus du corps de la femme qui peut se laisser voir dans le mouvement. Non pas figurer, ce serait trop, mais voir, ou apercevoir, entendre ce cantus firmus qui flotte entre les gestes des femmes et qui disparaît dans leurs harmonies, dans les accords verticaux qu'elles s'entendent à plaquer sur le réel simplifié de leur être-là.
Beaucoup d'obstacles se dressent entre mon désir et la réalité. Et le premier d'entre eux est précisément que je suis incapable d'expliquer ce que je cherche, et qu'à chaque fois que j'ai essayé, j'ai dû battre en retraite, car mes interlocuteurs se rabattaient sur ce qu'ils ne connaissent que trop, et qui les empêchent absolument d'imaginer qu'il puisse exister autre chose dans le regard d'un homme que la concupiscence, la vénération, la religiosité désincarnée, le surmoi esthétisant, ou, plus bête encore, la sympathie, l'admiration, la gentillesse, ou, le pire, le conformisme idéologique, la pommade inclusive et égalitaire.
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Ce serait un film où ne seraient (montrés) que des gestes. Des gestes et les pauses (et les transitions) qui existent entre les gestes. Le temps, donc, qui passe, sur (ou dans) un corps. Ou un corps qui se meut dans le temps, qui le fend, qui en écarte les portes, pour que l'espace d'un instant on entende la voix supérieure du corps enchanté d'une femme, son ciel, sa furtivité, la mort à l'œuvre…