mercredi 4 juin 2014

La Vie merveilleuse (1)


Résumons un peu les choses pour les distraits. Je n'ai plus personne. Plus personne à qui écrire, plus personne à qui parler. Ils sont partis, tous les quatre. Trois dans la terre et une je préfère ne pas savoir où. Alors je me promène, là, et un peu là aussi, et puis ici, et par là-bas. Je regarde les visages, je vois qu'ils ne me voient pas. Je suis invisible, transparent, négligeable. Alors je ne me lave plus, je ne dis plus bonjour, je continue mon chemin, comme ça, au hasard du néant, j'ai les dents cariées, les cheveux gras qui tombent, le ventre qui enfle. Je dors la journée, je rêve beaucoup, et la nuit, je me délecte du silence, et parfois je lis un peu, au hasard aussi. Tout ça ne fait pas de bruit. Je crois que je n'emmerde personne. Je suis enfin bien comme il faut. Ne croyez pas que je m'ennuie ; pas du tout, c'est une sorte de vie rêvée. J'ai oublié qui j'étais, ça repose. C'est peut-être le paradis. Le petit paradis. Alors observons.


C'est un phénomène intéressant, ces obèses qui choisissent des vêtements bien moulants, tu vois. Tout porte à croire qu'ils s'aiment comme ça. Ils pourraient aussi se coller : ET ALORS ! sur le T-shirt. Ça écrit comme ces dessinateurs de presse, à la Planté, qui ajoutent le gras au gras et s'ébaubissent de leur énorme finesse. On met des clous dans la purée, et tout le monde s'extasie. Laissez-les vivre, nom d'une pipe, et le droit à la laideur, vous en faites quoi ? Et la foutaise démocratique, y en aura pour tout le monde ? Le banquet de merde, on se le partage entre potes ? Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups, ça te dit quelque chose, Nicole ? Le Château tremblant. Attachée de presse. ET ALORS ? Ah oui, on l'aime bien bien, cette pisseuse en bikini complètement à l'ouest qui nous parle de sa vie merveilleuse au Café de Flore et à cheval sur son Vélib en plein milieu de la nuit. La pauvre travaille, comme elle dit, elle travaille-travaille-travaille pour ses-auteurs. Nom de Dieu quelle rigolade. Apiculteuse anesthésiée au Flytox. Flytox, Flytox, ses auteurs au Flytox. Pleine page passage à la télé interview au Flore. La Dombasle qui passe dans le fond : 500 euros. Vous voulez Angot ? C'est plus cher ! Noah ça se négocie. Guilaine-comme-ça-se-prononce en bateau, coule la Seine et nos amours. Ah, Nicole, viens donc me torcher, j'ai encore le dos coincé. Je vais me tuer si ça continue ! Mais non chéri, ça va pas continuer, ça va empirer. Le Château tremblant, elles sont rares les femmes qui ne sont pas essentiellement vaches ou boniches, le Château tremblant, la Provence, les cigales, et mes vaches de Savoie, leurs cloches, la perfection de ses fesses, ses cuisses d'aristo, chuchotis félins, passe-passe, impair, sperme dans ses cheveux, toute la musique, les cloches, ses doigts dans sa chatte, que j'entends au téléphone… Le désespoir et le chat Coyote. Sorcière. Fée. Soyez joyeux. Coupez le son ! Coupez tout ! Joie du silence. T'entends, Nicole ? Moteur, ça tourne !

Madeleine Chapsal : « Il ne nous a rien offert à boire, et j'ai posé ma première question. (…) Il se présentait évidemment comme une victime ! Mais avec une sorte d'orgueil et de fierté… comme s'il y avait eu un immense malentendu. » Rembobinons. Louis-Ferdinand de Meudon n'a pas offert un drink à Madeleine Chapsal, le rustre ! La journaliste raconte, cinquante ans après, pourquoi elle en veut tellement à Céline d'être un écrivain, et pas elle. Mais le "ressentiment", le terrible ressentiment nauséabond  est du côté de Céline, bien sûr. Je sais pas si tu te rends compte, Nicole : Madeleine Chapsal face à Céline, qui LUI POSE SA PREMIÈRE QUESTION. Tu vois, tu vois la scène ? L'amoureuse de patron de presse face à l'Écrivain, le caniche qui pose sa question au Sphynx. Dis-donc, Destouches, y va faire beau, ou quoi ? Mieux vaut parler à Bébert et caresser n'importe quel chien de passage que de répondre à ça. La grande prétention au bonheur à Meudon, ça le fait pas. Coupez le son, Madeleine ! La médiocrité vexée entasse ses bons mots au fond des culottes la presse. Le château tremblant face à la danseuse en fugue, on peut bien le dire, aujourd'hui, ou toujours pas ? Toujours pas de drink ? L'agonie n'en finit plus de revenir, encore et encore, sur les lieux du crime. La chèfe de la petite clinique aux histoires face au danseur en dentelles, ça ne pouvait donner que du vitriol refroidi, sans goût ni grâce. Les cuisses, les cuisses tièdes, les tuyaux immenses des grandes orgues, et le souffle doré du pardon, je suis désolé, mais c'est pas la Chapsal, c'est bien le petit docteur français aux pinces à linge avec le perroquet qui fait touit !

Mouchette me dit qu'Edern Hallier est le fils, en vrai, biologique, de Céline. T'as vu comme il lui ressemble ? Mouchette, c'est de l'éléphant avec de la guitare espagnole. Je la revois à l'aéroport de Marseille où j'étais allé la chercher. Elle serait pas russe on se demande bien ce qu'elle pourrait être. Au téléphone, pour que je la reconnaisse, elle m'avait dit : « Je suis un peu mamelue. » On était un peu à l'étroit dans l'auto, avec Luna derrière qui inspectait le colis parfumé ! Mouchette elle se balade partout avec son Talmoude. Elle est plus juive que les Juifs, elle a trouvé là une forme de sainteté dérivée, mais je crois qu'elle est assez contente de tomber sur un catho qui la fasse rire. Les Français, aussi, ça la fascine. Quand elle est en colère, elle reprend l'accent belge, et moi, ça m'excite. Encore une qui aurait voulu être amoureuse toute sa vie. Dépitée de la queue de poisson, Mouchette, elle veut du rab. Bureau des réclamations : C'est tout ? Deux beaux enfants, ça ne vous va pas ? Oui mais non. On peut encore servir, regardez le matos impeccable ! Elle a bien un peu essayé l'intellectuellerie, mais ça coulisse moins bien quand-même. La tuyauterie, on en revient toujours là, les vapeurs du frottis, la jungle du triangle, l'asphalte baisante, elle a gardé ça pour le dessert, icône fumante, et la gourmandise elle pratique à la russe, avec plein de beurre dedans, qu'on peut plus s'arrêter. Je l'énerve exprès, elle m'appelle mon petit nazi et moi je me moque de son Talmoude. On rit beaucoup.

Silence ! Vous êtes bien vous-même ? Non, je vous jure que non ! Mais alors qui parle, là ? Ah oui, c'est vrai, il faut donner des preuves, des liens, des images et des certificats de naissance. Bon, bon, c'est entendu, on va essayer de vous satisfaire. Peut-être pas dans l'ordre mais tout y sera, je vous le jure. 'Round Midnight c'était, vous y êtes ? Calez-vous bien, ça va prendre un moment. Les micros sont branchés ? Servez-vous un verre et reprenez du saucisson.

Au secours : je ne vois plus les petits points rouge, jaune et orange en haut à gauche de l'écran. C'est Guilaine qui parle. Affolement général, branle-bas de débat, tout le monde se jette par la fenêtre de l'iMac. Guilaine se met face au miroir, passe la crème sur les jolis boutons, masse, remasse, pince légèrement, aïe, c'est jazzy, l'air est doux, on entend Bill Evans, My Romance, sur l'écran de la télé, on voit Michelle Obama qui tient une pancarte sur laquelle est écrit : #BringBackOurGirls, elle a l'air concernée, un peu triste, Roland Garros, pendant ce temps-là, on entend les cris des joueuses, han, han, han, han, 15 / 40, Arielle prend le bras de BHL, ça fait tableau, « Je suis Israélienne, j'ai un revolver dans mon sac, j'étais venue pour vous tuer… ». Ça y est, l'accordeur est enfin parti. Il n'écoute rien, celui-là encore, encore un qui ne laisse pas parler, dont la voix couvre celle de son interlocuteur. Il m'a parlé de Menuhin et de son père. Vieille Toyota. Quintes justes. Mouchette s'endort au téléphone. J'ai mal au con, au topaze. J'en ai marre de souffrir depuis seize jours, massages, chaleur, antidouleur, debout, pliée, couchée, me plaindre ou me taire, rien ne soulage mon con, à droite. « Il y a des milliers d'écrivains, ce sont des cafouilleux, des aptères, ils rampent daans les phrases, ils répètent ce que l'autre a dit, ils choisissent une histoire, ils disent : "Je vois que… Etc." » Une arrestation qualifiée peut-être à tort de "fortuite". Ah, tu vois, hein, c'est un-hymne-à-la-vie, moi j'dis. Voilà voilà. Peut-être à tort. Olivier Py, tu connais, Nicole ? Si j'connais ? Mais t'es con, toi ! C'est tout simplement le plus grand, le plus grandiose, le plus parfait, enfin merde, Olivier Py, quoi, non mais oh ! Si tu veux il s'exprime par oracles, le mec. Tout à fait, parfaitement. Il plane au-dessus d'Avignon, comme un aigle, tu vois. Il a l'œil perçant, il voit la peste de loin. Fronce le naseau, tapote son GPS, et hop, en piqué sur la vérole… Tout juste ventre à terre et les roubignoles au balcon, Batman-Py au carré dans sa Py-Mobile fend l'air du sud, il porte le Verbe comme un bracelet électronique. Imparable tombeau du sens coulé dans le marbre.

C'est quelqu'un qui en permanence a joué un certain nombre de rôles. Mais tu crois quoi, Nicole, tu crois qu'on peut être soi-même du début jusqu'à la fin tout uniment comme un seul homme soi-même ? En fait ce que tu prônes, ma grande chérie, c'est le rôle pour la vie, c'est Navarro tous les soirs, ou Al Pacino en boucle, avec un certificat d'authenticité délivré par le bureau des identités ? T'es tombée sur la tête ou quoi ? Alors Nestor me demande d'essayer le piano. Je demande aux girafes de s'asseoir, ça me dérange qu'elles restent debout comme ça. Les poules sont beaucoup plus sages, mais je crois que c'est parce qu'elles sont mortes. Pling, pling, plang… Je plisse les yeux. Nestor me regarde abondamment. J'allais commencer la Marche des soldats de plombs quand Caroline Tchou-Tchou est entrée, avec juste son cache-sexe jaune, et le foin qui débordait de la brouette. Nestor lui sert un jus de tomate, elle me fait un clin d'œil. Je pense à Lucie au ciel alors mes mains tremblent un peu. Le téléphone sonne. C'est Bernard Tapie. Il veut me vendre onze mille vierges qu'il vient d'enlever en Alsace. Bon, le cours de la vierge alsacienne moi j'y connais que dalle. Nestor a l'air pas mal secoué. Il s'est mis au piano et joue  le God save the Queen. Je vois là comme un signe. Je dis à Tapie que je dois réfléchir, quand-même. C'est la toute première fois que je m'en rends compte, mais Caroline Tchou-Tchou ressemble vraiment à Claudia Schiffer. « Non, il n'y a rien à faire. Ils n'ont rien compris. » Je le voyais bien, qu'ils n'y comprenaient rien, mais je ne pouvais pas leur dire. C'est exactement comme quand j'avais apporté mon sextuor à Carlos et qu'il m'avait dit que je ne savais pas développer. Je n'aurais jamais imaginé que quelqu'un d'autre connaisse Caroline alors qu'est-ce que je pouvais répondre, hein ? Le Jihad c'est mieux que la salle de sports ou les jeux vidéos, ça au moins c'est clair. 

Ça sent le rat crevé dans la cuisine. Ça doit être pour ça, l'invasion de mouches, l'autre jour… Il tourne les pages, Mouchette tape à la machine. Moins vite, moins vite ! Ta gueule ! Tape ! On transpire, les nouilles étaient trop cuites, encore. Tu devrais faire une radio, tu sais. Ah bon, une radio ? Pour quoi faire une radio ? Mouchette est habillée comme Caroline, cardinale à poils. On suffoque presque. Encore dix pages et on va prendre un bain. Ta gueule ! Tape ! Je vois bien qu'elle sue abondamment, ça coule entre les seins, ça tombe sur la machine. Mais comment elle voit les touches avec ses nibards, c'est pas possible, c'est de la magie ! Tchou, tchou, tchou, les seins qui ballotent en cadence sur les consonnes. Attention ! La barre d'espace, nom de dieu ! Tu vois pas le charriot qui avance tout seul ? Je repars dans les onze mille vierges. On n'est pas rendus. Toutes ces cuisses grand écartées, au Musée d'Orsay, sous le Courbet. Et les gens qui applaudissent : Bravo ! Bravo ! Encore ! La gardienne complètement débordée, un coup devant, un coup derrière, sur le côté, pour un peu, elle se dégraferait elle aussi pour camoufler l'artiste totale mais il y en a trop, des vulves offertes au regard. Elle est seule devant la honte poilue ! Elle abandonne, s'en va en pleurant. Une carrière brisée. Les flashes crépitent. Le rimel coule. C'est un grand moment. Laure Adler est contente. Ça se voit bien qu'elle est contente, même si elle n'applaudit pas. Toute les femmes soupirent d'aise, on voit tout de suite qu'elles ne sont plus vierges depuis longtemps. Mais le Directeur arrive avec la gardienne sur ses talons. Les ploucs s'écartent avec déférence. Bon, allez, Mouchette, on fait une pause, je vais faire couler le bain. 

La plupart des gens ignorent ce qu'ils vont ressentir la minute d'après. Les camés, eux, le savent, il leur suffit de regarder l'étiquette sur le flacon. C'est amusant, parce que la motivation première d'un drogué est plutôt de se dépayser, enfin c'est ce qu'il me semble en tout cas. En fait, ils plongent sur les jupes du réel, à la fois par fascination de l'innommable et par besoin d'être rassurés. Mouchette m'a encore téléphoné pour me rassurer. Mais en me rassurant elle se désespère. Les vieux ne peuvent pas se consoler, ils peuvent seulement rire ensemble. C'est déjà ça. Empêche-moi de mourir, Mouchette, j'ai pas fini mon quatuor. L'autre jour, je déjeune avec un élève à moi. Il me coupe la parole, mais il ne l'a fait qu'une seule fois. La vie manque de chiens. Je voudrais mordre. 

Tapie, t'as pas pis sur le pont, mais t'as Py au tapis, aussi. On est passé du fric au froc, des burnes au Bern, du LSD au Coca, de Godard et Duras à Duris et Copé. Quel chemin parcouru dis-donc ! Avant les écrivains s'insultaient au téléphone ou dans les journaux, maintenant c'est anonymement sur Tweeter  en 140 caractères. L'étiquette sur le flacon : Connard. Pédé. Trou de balle. Merdeux. Enflure. Nazi. Colicard. Constipé. Célinien. Partouzard. Politique. Raté. Floreux. Deuxmagoteux. Identitaire. Franc-maçon. Pédophile. Coelhien. Angotiste. Signé : Joey l'Étoile à une branche ou Nobody Le Parfait. C'est fou ce qu'on oublie vite ! On dirait que tout ça c'était un autre siècle, une autre vie, un autre monde. On dirait bien. Mais on fait comme si c'était le même monde qui continuait, moi le premier. Sinon quoi ? À part le suicide, qu'est-ce qu'il reste ? Le Jihad, voilà… Enfin, c'est un exemple. C'est la faute à la dissuasion nucléaire, tout ça. On vous interdit de faire péter vos bombes, alors il faut bien trouver autre chose, quand on est énervé. Le gros pétard en pétard ! Ce type m'a toujours dégoûté. Le honte. Mitterrand qui en jouit, de l'envoyer en première ligne, avec ses grosses roubignolles. Eh oui, Nicole, c'est ça aussi, la France ! Mitterrand-Tapie qui roulent des mécaniques pendant que les petits-blancs crèvent la gueule ouverte. Mais ça tu ne l'aperçois pas de Paris. C'est en province qu'il faut être pour sentir l'odeur de charogne qui s'étend sur le paysage et les mouches qui arrivent. Politique-de-la-ville… Je crois que tout a été dit à ce moment-là. Eh, Machin, ministre, qu'est-ce t'en penses ? Cool, François, cool ! Tu verras comme on sera bien, là, dans les meubles de la République, cette garce. « C'est une énergie. » Ouais…