mercredi 11 juin 2014

Jeune nudiste au galetas




Le livre était au grenier (nous disions le galetas). J'y montais très souvent, j'y restais des heures. Y étaient entreposés de vieux meubles, des tonnes de livres, les partitions de mon père, des revues, des magazines, de vieilles photographies, des matelas, des sommiers, des lits pour enfants, des bouteilles vides, des bibelots dont nous nous étions lassés, des poupées, des jeux cassés, des vases ridicules, des tableaux, des fauteuils défoncés, toutes sortes de boîtes, un chevalet, et certainement d'autres choses que j'ai oubliées…

En ce temps-là, j'avais également mis la main sur un petit livre illustré qui parlait de Mata-Hari. Il y était question, dessins à l'appui, de petits seins, de corps graciles, de hanches, de bustes ; un mot en particulier avait retenu mon attention : "nubile". Il est très étrange qu'il m'ait fallu de longues années pour en comprendre le sens, alors que je passais des heures plongé dans les dictionnaires, où ces mots-là clignotaient et me donnaient de la fièvre.

Je n'ai jamais su qui avait acheté ce livre, et qui l'avait (plus ou moins) caché au galetas. Toujours est-il que Fantasia chez les ploucs a joué un rôle capital dans mon éducation. L'ayant racheté tout récemment, je fus très déçu de constater que la couverture n'était plus la même. Dans mon souvenir, la couleur jaune y était prédominante, mais il se peut parfaitement que je me trompe. Autre déception, si l'on peut dire, la deuxième phrase est celle-ci : « Comme dit Pop (Pop, c'est papa), les fermes, c'est fortifiant, et pour ce qui est d'en trouver une plus fortifiante que celle à mon oncle Sagamore, on peut chercher. » Dans mon souvenir, c'était : « Comme dit Pop (Pop, c'est papa), les femmes, c'est fortifiant (…) » La différence est infime, la différence est énorme. Mais, tout bien réfléchi, ça ne change pas grand-chose. Un ferme, une femme (et ses filles), une femme fermée (sur son secret), un ferme femme qui tout à coup s'ouvre d'un sourire inexplicable, une ferme fermée sur ses femmes, ces longues après-midis d'été, une torpeur lasse et rêveuse qui fait se dresser les poils sur les bras pour un je-ne-sais-quoi, les cris des animaux, les cuisses fermes, les shorts, les paroles chuchotées, les œufs cassés, les visages rougis, les odeurs, les cuisines désertes où l'on a toujours l'impression qu'il vient de se produire quelque chose de terrible, les chemins poussiéreux, les mouches… Les femmes c'est fortifiant. Ah oui alors ! Moi qui détestais le sport, j'étais pourtant en forme. C'est pas le rugby qui m'aurait mis en forme, par exemple ! J'y suis allé deux fois. La première fois, je n'avais ni chaussures spéciales ni même short de sport. Je suis entré sur le terrain avec un magnifique bermuda de ville, très habillé, ma mère m'avait donné le plus beau. Vous imaginez les rires de ces cons ! De toute façon, je n'ai pas eu le temps de rester très longtemps car à la première confrontation avec un balèse d'en face, j'ai vu trente six chandelles. L'entraîneur m'a fait sortir en se foutant de ma gueule ; mon short était tout crotté. La deuxième fois que j'ai voulu y aller, enfin muni de superbes chaussures à crampons que j'avais eu beaucoup de mal à obtenir, elles se sont prises dans les rayons de mon vélo, et on m'a ramené à la maison dans les pommes, la figure en sang. Je préférais nettement le tennis car les vestiaires étaient mixtes. Bref, ce n'est pas le sport qui m'a mis dans la forme éblouissante où je me trouve quarante ans après ! Et, question fortifiants, mes parents en connaissaient un rayon…

« RECOMPENSE. JEUNE NUDISTE PERDUE DANS LES MARAIS ! RECOMPENSE ! $ 500. RECOMPENSE MISS CAROLINE TCHOU-TCHOU. REINE DU STRIP-TEASE PERDUE » Très franchement, je n'ai jamais lu de quatrième de couverture aussi alléchante. Surtout qu'ils ajoutaient : « Miss Caroline a disparu depuis cinq heures, mardi soir, lorsqu’elle a été surprise et attaquée par des gangsters qui ont tiré sur elle plusieurs coups de feu alors qu’elle nageait dans le lac proche, vêtue seulement d’un cache-sexe. On sait qu’elle a pu s’échapper dans le sous-bois, mais du fait qu’elle n’a pas de vêtements sur elle, sa situation ne devrait pas tarder à devenir pénible. Signalement : Buste 92,7 cm Taille 61 cm Hanches 91,5 cm. » Ce "du fait qu’elle n’a pas de vêtements sur elle" me donnait des hallucinations ! Et ce mot, encore un mot nouveau : « Cache-sexe » ! Pas trouvé dans le dictionnaire… C'était louche. Pas de vêtements, mais pourtant "vêtue d'un cache-sexe"… Que de questions ! Même le « sous-bois » devenait étrange, équivoque, torride. L'obscénité est la plus belle découverte de l'adolescence, si vous voulez mon avis. Je déchiffrais parfois de vieilles partitions trouvées là, dans le galetas, qui côtoyaient des magazines érotiques, et tout avait plus ou moins la même odeur de vieux papier. Il m'arrive d'avoir des érections quand je joue du piano, et je ne sais plus, dans ces moments-là, ce qui produit cette sournoise levée de pâte. Est-ce la chanteuse que j'accompagne, sa voix, la musique, des souvenirs qui me traversent l'esprit sans que j'en sois conscient, autre chose ? Aucune idée.

Mais je vous lis la suite : « Cinq cents dollars de récompense à qui ramènera saine et sauve Miss Caroline Tchou-Tchou, reine du strip-tease, du ballet de bulles et de la danse du ventre, qui s’est égarée dans la brousse, aux creux d’un torrent désséché proche de la ferme Noonan, à huit kilomètres au sud de la ville de Georges, compté de Blossom. » Vous avouerez qu'il y a de quoi se poser des questions ! Devinez où Georges a choisi d'habiter, quand il est monté à Paris ? Dans le Marais, bien sûr.



Gagnante de trois concours de beauté, vedette de ballets aquatiques à seize ans, ex-mannequin, reine du festival aquatique en 1955, ravissante, adorable brune aux yeux bleu azur et aux cheveux noir corbeau. Dix-neuf ans. Beauté satinée tout entière délicatement dorée par le soleil. Reconnaissable à un tatouage en forme de liseron qui s’enroule autour de son sein droit avec une petite rose en son milieu.

PRIERE DE NOUS AIDER A RETROUVER CETTE JEUNE FILLE !

Depuis, je la cherche, mon éternelle jeune-fille, ma reine du ballet de bulles.