dimanche 28 juillet 2013

« Non ! dit l'arbre »


« Aujourd'hui l'électronique est partout et les voitures en embarquent toujours plus. Une partie de cette électronique est destinée à prévenir le vol via tous les systèmes d'antidémarrage qui sont destinés à empêcher qu'un voleur ne puisse dupliquer simplement la clé d'un véhicule avant de partir avec. Des chercheurs en sécurité anglais ont découvert les codes régissant la protection anti-démarrage de voitures de luxe, Porsche, Audi, Bentley et Lamborghini, toutes appartenant au groupe Volkswagen. Pour arriver à leurs fins, ils ont réussi à reconstiturer le code Megamos Crypto top secret en allant étudier le tracé des pistes des puces contenues dans les clés de ces voitures. La technique est fort complexe puisqu'elle nécessite de découper ces puces en lamelles microscopiques pour en reconstituer le cheminement des transistors. Ces chercheurs comptaient publier les résultats de leurs recherches lors d'une conférence aux Etats-Unis mais VAG a réussi à leur imposer une injonction de la justice leur interdisant cette communication. Pour le groupe, les enjeux sont trop importants et il n'est pas question que des gangs de voleurs mettent trop facilement la main sur des véhicules coûtant des centaines de milliers d'euros. Les chercheurs sont dépités mais espèrent que l'affaire sera assez prise au sérieux par le groupe automobile pour qu'il améliore encore les sécurités antivol de ses véhicules. » 

Passons vite sur la langue employée ici (même si le fait qu'un dentiste de profession s'exprime ainsi est en soi une information non dénuée d'intérêt). On a donc ici, face à face, des "chercheurs" et des industriels. Laissons de côté les voleurs pour le moment. Les industriels s'efforcent de construire des voitures qu'on ne peut pas voler. Les "chercheurs" s'efforcent de "casser les codes" que les premiers ont mis au point. Les chercheurs, donc, ont réussi à entrer dans le mécanisme censé protéger les voitures, et entendent révéler au monde entier (parmi lequel se trouvent les constructeurs) la manière dont ils s'y sont pris pour contourner la sécurité de ces voitures. Les industriels protestent, assez logiquement, au motif qu'ils n'ont pas envie qu'on facilite le "travail" des voleurs*. Les "chercheurs" rétorquent qu'ils agissent pour le bien de la société, afin qu'elle améliore ainsi ses systèmes de sécurité. Très bien. Donc, n'était l'action de la justice (mais on ne se fait aucune illusion, cela ne durera pas), les constructeurs en question devront obtempérer et améliorer leurs procédés. Jusqu'à ce que les "chercheurs" ne trouvent à nouveau (ce n'est qu'une question de temps) la solution pour contourner ces nouvelles sécurités, ce qui obligera à nouveau les industriels à…  

Tout cela est parfaitement absurde, évidemment, et l'on comprend, à observer cette mécanique bien rôdée, qu'elle n'a en réalité qu'un objet : faire travailler main dans la main les bureaux d'études industrielles et les "chercheurs" passionnés par ces problèmes de "sécurité". Cela ne sert à rien mais c'est indispensable. 

Que se passerait-il si ces "chercheurs" n'existaient pas ? Rien. Ça ne changerait rien du tout. Les industriels essaieraient régulièrement d'améliorer leurs systèmes de sécurité, parce que les voleurs eux aussi font des progrès constants. Les "chercheurs" chercheraient ailleurs. Les voleurs voleraient les voitures. Les industriels fabriqueraient toujours des voitures réputées inviolables, alors qu'ils sauraient  pertinemment que c'est faux — et qu'il est même indispensable que ce soit faux. En effet, le jour où une voiture sera véritablement inviolable, les conducteurs seront en danger, très gravement.

Dans cette petite danse en trio, on voit que les voleurs et les chercheurs ont la même fonction. Les voleurs gagnent peut-être mieux leur vie que les chercheurs, mais à cette différence près, ils font à peu de choses près le même métier. Mais comme c'est toujours le cas avec les vrais trios, il faut y ajouter un quatrième larron : l'assureur, qui assure la parfaite circulation de l'argent, tout en le multipliant.

Et le propriétaire, le conducteur de la fameuse voiture inviolable qui va être achetée volée revendue assurée remboursée ? Eh bien il est chargé par ses quatre confrères de la jeter contre un platane, ce qui permettra à d'autres chercheurs de travailler et d'avoir un salaire décent, eux qui œuvrent pour la sécurité absolue des voitures inviolables, ce qui leur permettra d'acheter une de ces voitures très sûres dans lesquelles on meurt avec la certitude d'avoir fait tout ce qu'on pouvait pour éviter le pire. Et je ne vous parle même pas des platanes qu'on veut couper…


(*) Les industriels s'inquiètent aussi pour une autre raison : ils sont soucieux de ne pas favoriser une concurrence déloyale aux voleurs, car ils savent que les voleurs sont plus fiables que les chercheurs, en ce domaine. Par définition, quand un voleur a volé une voiture, on peut être certain qu'il a bien trouvé un moyen efficace pour ce faire. Les voleurs ne font pas de bla-bla, ils ne pondent pas des rapports de trois cents pages pour ne rien dire, eux, ils se contentent de mettre en application des méthodes qui marchent. Le voleur est un pragmatique, le chercheur est un rêveur intéressé. D'ailleurs les industriels font des procès aux chercheurs, pas aux voleurs.