vendredi 19 juillet 2013

19 juillet



I

CORTÈGE


L'enfant frêle qui m'était né,
Tantôt nous l'avons promené ;

L'avons sorti de la maison
Au gai soleil de la saison ;

L'avons conduit en mai nouveau,
Le long des champs joyeux et beaux ;

Au bourg avec tous nos amis,
L'avons porté tout endormi…

Mais en vain le long du chemin
Ont sonné les cloches, en vain,

Tant il était ensommeillé,
Tant qu'il ne s'est pas réveillé,

Au milieu des gens amassés,
Quand sur la place il a passé.


D'autres que moi, cet aujourd'hui,
À l'église ont pris soin de lui.

C'est le bedeau qui l'a bordé
Dans son drap blanc d'argent brodé.

C'est le curé qui l'a chanté
Avec ses chantres à côté.

C'est le dernier qui l'a touché,
Le fossoyeur qui l'a couché

Dans un berceau très creux, très bas,
Pour que le vent n'y souffle pas

Et jeté la terre sur lui
Pour le couvrir pendant la nuit.


Pour lui ce que chacun pouvait,
Tant qu'il a pu, chacun l'a fait

Pour le bercer, le bénir bien
Et le cacher au mal qui vient.

Chacun l'a fait… Et maintenant
Chacun le laisse au mal venant.

Allez vous-en ! Allez vous-en !
La sombre heure arrive à présent.

Le soir tombe, allez ! partez tous !
Vos petits ont besoin de vous.

Rentrez chez vous et grand merci !…
Mais il faut que je reste ici.

Avec le mien j'attends le soir,
J'attends le froid, j'attends le noir.

Car j'ai peur que ce lit profond
Ne soit pas sûr, ne soit pas bon.

Et j'attends dans l'ombre… j'attends
Pour savoir s'il pleure dedans.



II

Un Ange est venu vendredi
Chez nous pour étouffer mon petit
Pour l'emporter au Paradis,

Malgré son cri dans le printemps
Et son souffle qui tant et tant
Ont imploré grâce longtemps ;

Malgré la sueur de sa chair ;
Malgré la fenêtre aux yeux clairs
Qui s'ouvre pour appeler l'air ;

Malgré l'air qui l'entend mourir
Et souffle pour le secourir ;
Et le lait qui vient le nourrir ;

Et l'eau qui le fait boire un peu ;
Et la laine douce qui veut
Le réchauffer et ne peut ;

Malgré mes mains de vain amour
Qui tournent sans remède autour
Du mal dont c'est l'heure et le jour ;

Malgré les femmes à genoux
Et leur chapelet jusqu'au bout,
Qui sanglotent : « Priez pour nous » ;

Malgré l'autre Ange clair, léger
 — Le sien — qui devait voyager
Sur terre pour le protéger…

Hormis le seul danger.


Un Ange est venu, le plus fort,
Pour mettre mon petit à mort.

Est-ce difficile ? Est-ce bien,
Pour un Ange qui ne craint rien,

D'étouffer, comme un pigeon blanc,
Le cœur d'un nourrisson tremblant ?

Ce cœur encor rempli du temps
Que Dieu lui-même a mis dedans,

Ce cœur plein de jeux et de jours
Qui d'un an n'a pas fait le tour…

Toute la nuit en vain battant
Pour sauver l'instant… puis l'instant…

Toute la nuit il s'est battu…
Puis à l'aube soudain s'est tu.

Et l'enfant que j'ai mal gardé,
Plein de reproche a regardé,

Regardé le Ciel sans merci
Pour se plaindre très loin d'ici…

Et brusquement se sont ses yeux
Retournés du côté de Dieu,

Du côté de Dieu, fixe, noir,
Terrible, pour ne plus me voir.




(Extrait de Office pour l'enfant mort, de Marie Noël, in PSAUMES)