samedi 20 juillet 2013

Interpeller Belphégor ?


J'ai lu la formule (que j'aime beaucoup) dans (sur ? (je ne sais jamais comment dire (ce "sur" mis à toutes les sauces m'agace tellement qu'il m'arrive de ne plus l'employer quand il est justifié !)) le forum d'un site que je fréquente régulièrement. "Interpeller Belphégor" est en passe de devenir impossible et l'on savait depuis le commencement qu'il en irait ainsi. On dirait bien qu'est venu le temps, un peu morne, un peu lassant, où il ne s'agit plus pour nous que de vérifier tout ce qui était écrit noir sur blanc dans les livres d'histoire, dans les livres de philosophie ou d'ethnologie, dans les romans, dans les récits de voyage, et dans quelques pamphlets bien sentis, écrits au bon moment, comme tous les pamphlets qui comptent.

Interpeller Belphégor ? Ça va pas la tête ! On n'interpelle pas Belphégor. Demandez au commissaire Ménardier et à sa fille Colette, demandez au gardien Gautrais ! Belphégor, on le laisse se promener la nuit dans le Louvre désert, désert comme Calcutta. (Et d'ailleurs, le Louvre est désert, dorénavant, ainsi que la France, ils sont déserts d'être envahis, c'est bien comme Calcutta : trop de monde et le monde disparait, trop de musique et la musique disparaît, trop de fêtes et la fête disparaît, trop d'art et l'art disparaît…) Il ne fait de mal à personne, Belphégor, tant "qu'on ne le cherche pas". Il a bien le droit d'avoir un costume à lui, et puis, il est si beau, ce costume, si différent, il nous a tant fait rêver, enfant ! Cette forme noire qui, accompagnée d'un enfant silencieux, glisse entre les joyaux que Bonaparte et Vivant Denon (fascistes et dépouilleurs) ont dérobés en Egypte, l'une des formes les plus élégantes qui ait nourri notre imagination, vous voudriez qu'on l'interpelle, qu'on l'arrête, qu'on l'emprisonne ? Emprisonne-t-on une forme ? André Bellegarde a voulu seulement contrôler son identité, on voit où ça l'a mené ! On ne plaisante pas avec le mystère, on ne soulève pas les robes de femmes, quand on est bien élevé. On se contente de les violer dans un garage en Norvège, mais on ne leur demande pas de vous montrer leur visage. Le visage, c'est bon pour les idolâtres, pour les adorateurs d'icônes, pour les fétichistes pâles et décadents qui ne désirent plus que rendre ce que Bonaparte a volé, rendre et rendre, comme on vomit après avoir trop mangé.

Belphégor était une femme (et son double) ! Enfin, non, Belphégor "en soi" n'est ni homme ni femme, mais son vecteur, sa chair temporelle était bien une femme, et quelle femme ! Ce Belphégor en noir et blanc me semble, vu d'ici, tellement augural de ce qui allait se produire dans la France "en couleurs" qu'il me semble extrêmement digne d'étude. Regarder Belphégor, en 2013, c'est bien voir un autre monde, cet autre monde où nous avons appris les usages et le reste, cet autre monde où nos parents étaient encore bien vivants, et où l'on rêvait de "l'An 2000" qui viendrait, qui viendrait bien un jour, même si cela relevait encore de l'impossible

L'impossible (qui n'est jamais français, comme on sait), on y est. En plein dedans. Belphégor est sorti du Louvre, il se balade en ville, il conduit sa voiture, il va au cinéma, à la Sécu, à la faculté, à la piscine. Il retire de l'argent des automates bancaires, il vote, il part en vacances. C'est un peu comme Babar qui conduit son auto, vous savez, qui fait sa gymnastique avec la vieille dame, qui mange des glaces au jardin du Luxembourg, enfin, vous voyez le topo, et qui finit sa carrière en monarque. Et vous voudriez contrôler ces Belphégors, et puis quoi encore, vous voudriez peut-être les empêcher d'arriver à la magistrature suprême ? Mais ça va pas la tête ! Putain d'An 2000, où tout est possible, même que des papas épousent d'autres papas, même que des Belphégors clonés prennent le contrôle du Louvre et des autres palais de la République, sans bruit, sans la moindre révolte. Ils glissent, accompagnés de leurs enfants, qui les guident et les protègent, ils glissent parmi nous… et bientôt c'est nous qui sommes parmi eux. Alors, qui va interpeller qui, hein ?

Sacré Belphégor ! J'avais neuf ans quand je me cachais derrière la porte du salon pour t'entrevoir et frissonner de trouille. Je ne savais pas à ce moment que tu reviendrais me hanter de nombreuses années plus tard.