samedi 27 juillet 2013

Les Militants


Il y a vraiment de quoi désespérer. À la radio, Angot continue de nous bassiner avec son inceste increvable. Sur Facebook, le ridicule achevé des résistants sortis de terre nous plonge dans une terreur sans nom. On se demande bien, des uns et des autres, qui sont les pires. Tous des perroquets en tout cas. Chacun y va de sa harangue, et, comme le dit Proust, ils ne défendent si bien leurs prétendues idées que lorsqu'elles ne sont pas leurs. Ça tombe bien.

Je me demande si quelqu'un va finir par s'apercevoir de ce qui crève les yeux, tout de même. Marine Le Pen est la première gauchiste de France, ce qui n'empêche nullement ses ennemis de la traiter d'extrême-droitière, de fasciste, et tout le folklore habituel. (Mais être à gauche n'a jamais empêché personne d'être fasciste, il est vrai.) Je pense que Mélenchon le sait, et c'est pourquoi il lui en veut autant.  Ça doit être désagréable de voir que les clients habituels vont à la concurrence, surtout quand la concurrence vend de la meilleure camelote et qu'on n'a pas la possibilité de contrer l'offensive, hormis avec un discours auquel on ne croit pas plus que les clients. La posture qu'il a choisie : surjouer la haine et la colère à l'égard de celle qu'il admire en secret l'oblige à jouer avec son cœur. On ne sait s'il va tenir longtemps à ce rythme-là.

C'est précisément parce qu'on est censé désespérer qu'on se met à être heureux. Finalement, il  n'y a peut-être que dans des moments tels que ceux-là qu'on peut vraiment être libre. Lorsque tout le monde vous dit quoi faire, et comment le faire, et quand. L'esprit militant, dont on est guéri (je) depuis quarante ans, ressurgit avec force ces temps-ci. Les maîtres et les maîtresses portent la voix, on voit ressurgir la sale race des chefs. Ils sont tous, dirait-on, à la recherche de porte-voix, ils veulent tous mettre l'ampli à fond et gueuler comme des enragés. Tout à l'heure, un exalté m'envoyait : « Pour sauver la France, il faut commencer par retrouver le sens des mots et rejeter la novlangue des traitres qui nous gouvernent. » "Traîtres", "sauver la France", "retrouver le sens des mots"… Et l'autre folle avec ses lunettes noires, là, qui se voit déjà à son mirador, une verge à la main, derrière son bureau grand comme un piano !

S'il faut sauver la France avec des cinglés pareils, je vais lui appuyer sur la tête, à la France. La guerre, c'est toujours deux rangées de babouins qui hurlent très fort et qui se ressemblent terriblement. Ils montrent leur cœur et on voit leur cul.

Ce qui est vraiment terrifiant c'est de voir des gens qui croient à ce qu'ils disent, à ce qu'ils sont, qui n'ont pas le plus petit commencement de jeu entre eux et eux-mêmes ; ils sont eux, en plein, à fond, tout entier, du matin au soir, et même ceux, bien sûr, qui nous parlent en se gargarisant de la conception littéraire du monde. Peut-être surtout ceux-là, d'ailleurs.

Après mon billet sur la pauvre Engerer, l'autre jour, j'ai reçu un mail invraisemblable. Celle qui me l'envoyait me félicitait d'avoir enfin ouvert les yeux. Je me les suis frottés, les yeux, parce que cette brave dame voulait tout simplement me dire : Ah, vous avez enfin compris que les Juifs sont derrière tout ça ! Depuis le temps qu'elle essayait de me convaincre, sans le plus petit commencement de succès faut-il l'écrire, elle était aux anges, car elle croyait que ma thèse était : « Si des gens font carrière sans avoir le moindre talent, c'est parce que "le lobby qui n'existe pas" (c'est comme ça qu'ils parlent entre eux) est là pour les promouvoir. » Je ne suis évidemment pas un naïf, je sais pertinemment que les lobbys existent, que les chapelles existent, que les écoles existent, que les sectes existent, que les syndicats existent, que les coteries existent, que les mafias existent, et qu'il faut souvent en France avoir sa carte de ceci ou de cela pour parvenir à la place qu'on convoite, et je suis je crois d'autant bien placé pour en parler que je suis tout à fait démuni de la moindre facilité en ce domaine, et ce à un point caricatural, que jamais de ma vie je n'ai flatté qui que ce soit pour obtenir quoi que ce soit, et qu'en fait d'entregent je suis largement aussi nul qu'Angot dans le domaine littéraire. On voit où ça m'a mené. Mais le problème n'est pas là. Que cet article ait pu être interprété ainsi m'en bouche un coin, je dois dire. Peut-être après tout que je dois revoir entièrement ma manière de comprendre les rapports sociaux et professionnels ? Ce qui m'étonne tout de même un peu, c'est qu'après que j'ai claqué la porte de son blog, elle m'a reproché de l'avoir traitée d'antisémite. Elle avait l'air sincèrement blessée. Je pensais avoir été assez gentil, pourtant… Mais en fait j'avais été idiot, bien sûr. Tous ces grands mots n'ont plus le moindre sens, c'est bien pour ça qu'on les emploie toute la journée, à tout propos. Fasciste, antisémite, raciste, collabo, communiste, nazi, c'est comme hystérique, névrosé, psychotique, macho, c'est de la bouillie, on nage dans une infâme bouillie verbale toute la journée, toute l'année, et l'autre excité qui me parle de "sauver la France", sans rire, et de "retrouver le sens des mots" ! Sans rire ! Ils arrivent à garder leur sérieux, à ne pas se pisser dessus, en prononçant ce genre de phrases. Sont forts, les mecs. Avec des zozos comme ça, la France ne risque rien, bien sûr. Je peux donc me rendormir tranquille.

En réalité, ce que le plupart de ces gens veulent, c'est une revanche. Ils estiment qu'ils ont été floués et qu'ils ont une revanche à prendre. C'est pourquoi "le peuple" fait un retour en force. Revanches contre revanches, le cycle infernal a commencé, et je ne vois pas bien qui serait en mesure de l'arrêter. Peut-être que la paix avait assez duré, qu'elle commençait à nous fatiguer un peu. Plus d'un demi-siècle sans guerre, c'est à crever !