dimanche 9 juin 2013

Agustin Anievas


J'aime de plus en plus Agustin Anievas. Écoutant la quatrième ballade de Chopin par Horowitz, Perlemuter, Arthur Rubinstein, Pollini, Zimerman, Cziffra, Anderszewski, Ashkenazy, et lui, Anievas, je suis frappé à nouveau par son élégance, sa simplicité, sa droiture, et sa technique sans faille mais sans ostentation. Le plus opposé à toutes ces qualités est sans doute Horowitz, sans parler d'Anderszewski, insupportable de maniérisme et de sophistication bête.

C'est très curieux, comme avec certains immenses pianistes, je pense ici en particulier à Horowitz et à Richter, on est, la plupart du temps, extrêmement déçu par la réalité de leur jeu, et souvent même exaspéré. Comment, Horowitz, le plus grand pianiste du monde, c'est ça ? Cette désinvolture, ce côté relâché, imprécis, sale, épais, brutal, et techniquement approximatif, c'est Horowitz, le pianiste par excellence, le Liszt du XXe siècle ? Je me rappelle une sonate de Liszt (il l'a enregistrée plusieurs fois) que j'avais apportée à mon maître, et qui, l'ayant écoutée, avait seulement lâché : « Ça ne vaut pas un clou. » Il faut bien se l'avouer, malgré ce que cela nous en coûte : la réalité ne correspond pas toujours à l'image que nous avons de ces très grands artistes. Combien de fois Richter m'a semblé exaspérant, et pire, décevant ! Et pourtant je n'oublierai jamais la seule fois que je l'ai vu jouer en concert, il y a bien longtemps, à Saint-Denis. Il y avait joué entre autre les novelettes de Schumann, et je crois bien que plus jamais je n'entendrai pareille merveille. Rubinstein, aveugle, était dans la salle, et toute l'assistance avait été bouleversée parce ce qu'elle avait entendu ce soir-là.

Chopin est un compositeur très difficile à interpréter. Qui est-il, comment jouait-il, quelle sonorité avait-il, que cherchait-il ? On croit savoir, il n'est pas si loin de nous, et pourtant, plus le temps passe plus il semble mystérieux et inatteignable. Quand on voit jouer ceux qui l'ont entendu (je pense en l'occurrence à Francis Planté), on se dit que ce n'est pas possible, que ce ne peut pas être ça, Chopin ! Et puis il y a les innombrables témoignages écrits, racontés, transmis, et puis les écoles, et puis les traditions, et puis les disques… Il me semble que Chopin est paradoxalement le compositeur le plus mal connu au début du XXIe siècle.

Anievas va droit au but, sans chercher, avec une honnêteté sonore rarissime. Il est facile de dire que la poésie de Chopin ne doit pas être sollicitée, qu'elle doit venir naturellement du texte, mais il est extrêmement difficile de jouer ainsi sans être platement "objectif". Mais le plus étrange est encore que lorsqu'on veut trouver une interprétation qui soit proche de celle-ci, on est obligé de se tourner vers quelque chose de très différent, comme celle de Rubinstein par exemple. Quelle est donc la vérité de Chopin, pour se trouver ainsi dans des exécutions qui sont parfois à l'opposé les unes des autres ? Que la musique est donc compliquée !