jeudi 13 juin 2013

La Brosse à ongles


La brosse à ongles se fait rare. On peut même dire qu'elle a complètement disparu. Il n'est pas besoin d'aller le vérifier dans les salles de bains, ça se voit à l'œil nu, sur Internet et dans la rue. En 1968, on disait "Sous les pavés, la plage". En 2013, la plage est sur les pavés (grâce au marchand de sable Delanoë), et la crasse sous les ongles. Un des premiers gestes qu'on nous enseignait jadis, dans l'enfance, était celui qui consiste à se laver les mains. Je revois Geo, un ami de mon père, plombier-zingueur et aviateur que j'admirais beaucoup, et que j'allais regarder travailler dans son atelier, un lieu que j'aimais énormément. Il avait, Geo, une manière de se laver les mains qui m'impressionnait, et qu'il m'avait enseignée, à ma demande. Ce n'est pas seulement le bout des mains qu'il lavait (il remontait très haut sur les poignets et même une partie des avant-bras), mais c'était surtout le soin avec laquelle cette tâche était réalisée qui a marqué le jeune esprit que j'étais alors. L'opération durait suffisamment pour devenir une technique, un art, une morale en acte.

Une morale, oui. Hier encore, je devais expliquer à un élève de piano qu'on ne soigne pas seulement ce qui se voit (ce qui s'entend), mais aussi, et peut-être surtout, ce qui ne se voit pas. Il me regardait avec étonnement : "Mais à quoi ça sert, si personne ne l'entend ?" Alors, exaspéré, je lui ai parlé de ces jeunes femmes fardées, parfumées, vêtues avec soin, mais dont l'hygiène est douteuse. L'hygiène, ce qui ne se voit pas, ce qui est au-dessous, mais qu'on doit pourtant aux autres autant qu'à soi-même. Les ongles… On en revient toujours là. Les ongles : le moyen le plus simple et le plus rapide pour voir si quelqu'un a de l'hygiène (et donc de la morale). Une amie me parlait il y a peu d'un gynécologue qui fumait dans son cabinet. Pourquoi fumait-il ? À cause de l'odeur… Eh oui, à cause de l'odeur de la crasse, parce que, désormais, une femme n'hésite plus à aller chez son gynécologue avec un sexe sale. Maquillée (à outrance), parfumée (à outrance), mais sale… Et on s'étonne des infections nosocomiales ! « Je viens comme je suis. » En effet. Sales en bas, sales en haut, mais avec le dernier piercing à la mode, avec le dernier tatouage à la mode, et avec cette foutue épilation intégrale. Rien ne sera épargné aux gynécologues, qui ont pris la place des confesseurs d'antan. Ceux-là avaient les oreilles offusquées, eux ce sont les yeux et le nez.

Mais tous, nous sommes les témoins ébahis de cette nouvelle crasse, physique, mentale, et morale ! On crache par terre, des femmes (à Paris !) défèquent sur les trottoirs, et les élèves de piano pensent qu'on ne doit soigner que "ce qui s'entend"…

Aujourd'hui, seuls les chirurgiens, les fous et les assassins se lavent les mains.