lundi 10 juin 2013

Force et attrapes


La banalisation…euh… des mots… euh… de la haine… euh… favorise, nous le savons… dans le débat public… ou sur… euh… internet… euh… le passage… euh… à l'acte… et nous devons… euh…  tout faire… pour… euh… éradiquer… euh… ces messages… euh… de haine…

Ainsi s'exprime Manu le Valseur, sur le ton grave des HLPSDNH. Derrière lui, dans la rue où lui sont tendus micros et caméras, on aperçoit heureusement des visages graves, empreints gravement d'une émotion grave et républicaine. Jusqu'aux rides sur le front des visages graves, qui sont graves et républicaines, profondes et graves. Ils froncent le front de la Fronce gravement, les républicains graves qui accompagnent Manu le Valseur dans son numéro de gravité grave. C'est beau comme de l'antique, et, en un sens, c'en est, de l'antique, car ce que Manu le Valseur et son beau modèle, François le Dernier, imitent, sans y parvenir le moins du monde, et c'est bien cela qui fait farce, est François le Premier et sa cour, qui les ont précédés de quelques décennies en les murs de la République. François le Premier avait inventé le Front National et-sa-nébuleuse, et ses lointains ayant-droits en récoltent aujourd'hui encore les dividendes, gravement préoccupés de ne pas dilapider le précieux héritage. Il y a bien eu Jospin pour révéler l'origine et la nature du pactole, mais on l'a rangé dans son île, d'où il n'est pas prêt de sortir, sauf quand ce sera son tour de proposer son corps glorieux au mijotage théologal. Que l'extrait du petit discours faussement improvisé de Manu le Valseur reproduit scrupuleusement plus haut ne veuille strictement rien dire n'a pas la moindre importance, ou plutôt, est essentiel, car le message se situe à l'évidence ailleurs que dans l'in-sens de l'in-énoncé. Sauf pour un mot : "éradiquer". Les autres vocables sont là comme marqueurs, ils ont les visages familiers des légumes ordinaires qui composent la soupe églogale de la Gauche (et quand je parle de la Gauche, je parle bien entendu de la vraie Gauche, et pas seulement de celle qui porte ce nom aujourd'hui). L'unique molécule agissante est l'éradication, une potion que la Gauche manie depuis toujours avec le sens inné de la médecine radicale qui la caractérise. Ce que la farce dit parfaitement, en l'occurrence, c'est : « Fini de rire. Il n'existe pas d'Ailleurs, il n'existe pas d'Autre. Et si jamais il en existe encore quelques traces, ici ou là, nous les éradiquerons sans états d'âme. Nous sommes à la fois le Peuple, le Légitime, la Force, la Raison, la Manière, la Cause. Nous sommes le Bien sans Reste, et nous entendons le rester. » 

Je ne sais pas si tout le monde connaît le sens du mot "éradication", en français, mais il vaut la peine d'être rappelé : « Élimination complète d'une espèce animale nuisible » ou encore : « Suppression complète d'un organe, d'une tumeur, d'une lésion ». La "tumeur", aujourd'hui, c'est tout simplement ce qu'il faut bien appeler par son nom : la dissidence. Quant à "l'espèce animale nuisible", elle est clairement constituée de tous ces Français qui persistent à ne pas vouloir être remplaçables, ni remplacés. Ça fait (encore) un peu de monde, mais ce n'est pas ce qui effraie les totalitaires qui sont en passe de réussir là où des Staline et des Lénine avaient encore l'excuse des débutants.