samedi 16 août 2025

Dernières paroles

 

Les objets d'amour peuvent coûter cher. J'avais une affaire en Birmanie, avec une succursale au Guatemala. Pas de problèmes d'argent mais beaucoup de pensées qui me trottaient dans la tête sans que je puisse y mettre un terme. Lila était muette, mais très brune et gracieuse. J'aurais pu la vendre facilement. Elle avait ce genre de visage qui incite fortement au négoce. Mais sa compagnie m'était agréable et sa cuisine exceptionnelle. 

Quand elle fut emportée par un requin qui avait littéralement jailli de l'eau en lui attrapant la jambe (tout le reste est venu avec, d'un seul mouvement très élégant), elle n'avait émis qu'une sorte de hoquet bref et maladroit, comme si elle s'excusait de ce regrettable incident qui était venu troubler la quiétude de l'instant que nous partagions. J'avais regardé quelques secondes l'endroit où elle avait disparu, mais on n'apercevait que quelque bulles d'air venues crever discrètement à la surface de l'eau. Ses dernières paroles, sans doute. J'avais encore un sandwich entamé à la main mais je n'avais plus faim… 

Nous payons notre tribut à la liberté, avais-je pensé, il serait déraisonnable de se révolter là contre. Au bout d'une petite minute, il y avait eu quelques remous, et l'eau s'était colorée de rouge. Je m'étais imaginé, peut-être à tort, qu'elle avait dû souffrir beaucoup, mais le spectacle était réussi. Je pris les rames pour me diriger vers le bateau. En arrivant en haut de l'échelle de corde, alors qu'on m'attrapait la main pour m'aider à monter à bord, je me dis que je n'avais jamais fait l'amour avec Lila. 

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