dimanche 24 août 2025

Night and day [journal]


Entre les douleurs au dos, aux épaules, au ventre, les huit ou neuf levers pour aller pisser — ou plutôt essayer de se vider la vessie, j'appelle pas ça pisser — les angoisses et les phrases qui me trottent dans la tête et me réveillent, je me demande comment j'arrive à dormir un peu. Je dois bien dormir un peu, puisque je rêve. Ça oui, je rêve ! Dès que je ferme les yeux, ça vient. Je ne sais plus comment choisir parmi tous les rêves qui se pressent sur l'écran. Ça vient tellement vite que je ne sais plus faire la différence entre rêve et réalité. Le matin, c'est pénible car je refuse d'en sortir. Je tends la main à la foule nocturne qui s'éloigne, on s'agrippe par le bout des doigts, comme avec Sylvie, au fond du bistrot de la place près du métro, à Issy-les-Moulineaux. Je reste là longtemps comme un con à essayer de garder la porte ouverte sur ce monde qui se referme insensiblement. 

Hélène-au-beau-derrière est venue m'acheter des figues en sortant du marché (« J'ai tout vendu ! »). Il était midi. Elle avait des genouillières et les cuisses très bronzées, très belles, une belle peau fine, je ne m'y attendais pas ; ça m'a ému. J'ai gagné huit euros. Je lui apporterai deux autres barquettes mardi. Comme je n'avais pas de monnaie à lui rendre sur son billet de dix euros, elle a plongé tête la première à l'arrière de sa voiture, je ne sais pas trop ce qu'elle fichait mais c'était beau de la voir disparaître comme ça avec son cul vers moi pendant que je tenais la portière au milieu du chemin. Elle m'a tendu quatre pièces de deux euros en me disant que c'était tranquille, ici, et que son père était mort. Hélène est toujours souriante, elle a le nez un peu tordu et s'est mariée il y a peu avec un type épais et silencieux. Elle a un rire tonitruant. Quand je l'ai questionnée sur ses genoux, je n'ai pas compris sa réponse. Après je suis allé chez les pauvres, à Alès. Il y avait Nija et Robert. Robert porte des bermudas et des sandales. Ses ongles de pieds sont noirs de crasse et je ne comprends jamais ce qu'il dit. Il n'y avait pas foule, pour un samedi, je me suis dit. Peut-être dix, onze personnes. Nija a des yeux verts. Elle est vraiment trop grosse, mais son sourire excuse tout. Elle a réussi à me trouver des produits sans gluten, ce qui me paraissait impossible — des machins à base de pois chiches. Chiche, c'est bien le mot qui convient. Elle roulait parmi les victuailles comme une toupie magique, transpirante et inspirée. Je m'en suis tiré pour trois euros cinquante-sept. Elle a tenu à me faire la bise. 

J'aime ces textes qui viennent tout seuls, que j'écris en trois-quarts d'heure, d'une traite, comme hier matin, sans même me relire. C'est bon, de sentir qu'écrire est une chose facile. Il y a au moins une chose facile dans ma vie. 

Mes journées sont toujours décevantes, si je les compare à mes nuits. La seule justification de l'existence est qu'elle nous fatigue suffisamment pour imposer la nécessité du sommeil. Dès que je me réveille, je tente de retrouver ce que la veille me fait perdre, mais la trace de ce quelque chose qui serpente en moi tout au long du jour ne me laisse pas en paix. Par moments, la pâte lève, une bulle se forme, qui vient éclater à la surface, et je retrouve goût à la vie, ou plutôt à la non-vie. 

J'ai eu The Man I Love de Billie Holiday toute la nuit dans la tête. Le chorus de Lester Young, impeccable, pas une note de trop. 88 à la noire. Ces deux-là vont main dans la main à travers leur nuit, ils m'impressionnent. On les aime, mais ils sont inaccessibles. Personne ne peut comprendre ça. Lady Day aurait dû s'appeler Lady Night.

Quand j'ai commencé à écrire, il y a vingt-cinq ans, je ne savais pas du tout dans quoi je mettais les pieds. Je croyais qu'il s'agissait d'écrire un livre, ou des livres, ou des phrases qui plaisent, qui nous plaisent, ou, pire, qui signifient quelque chose, qui racontent. Il n'y a pas de livre… J'en avais écrit un, de livre, en 2000, très vite, en un mois. Je n'en ai jamais rien fait, de ce livre. À quoi bon. Il m'a valu une gifle de Raphaële, c'est déjà ça. La dernière fois que j'ai vu le cul sublime de Raphaële, c'était chez elle, dans son jardin, elle prenait le soleil avant qu'on aille voir un opéra de Rossini à Aix. Cette nuit-là, j'ai dormi seul dans la chambre de Bérénice. Elle a toujours été mal à l'aise avec son corps, Raphaële, et pourtant, j'ai rarement connu une femme qui aime autant faire l'amour, qui ressemble si peu à ce qu'elle est quand elle ne le fait pas. Pile ou face ? Elle est de ces femmes qui ont deux corps, on ne sait jamais dans lequel on entre, mais ce qui est sûr, c'est qu'elle ouvre sa chair en grand, quand elle se donne. On ne peut pas en dire autant de tout le monde. « Le désir comprend à la fois l'appétit, le courage, la volonté. » Une femme qui donne ce qu'elle n'a pas me bouleverse. Il en faut, du courage et de la générosité, pour être une femme. 

Zagdanski est complètement barjo. Barjo et d'une prétention à vomir. Très intelligent, très cultivé, mais complètement con, et finalement illisible, malgré ce qu'il croit. Lui et Nabe sont deux sous-marins atomiques lâchés dans la savane. 

La température dans la maison est repassée au-dessous de 25° pour la première fois depuis longtemps. Ce matin, c'est idéal. Il fait beau et je discute de Sylvie Vartan avec Vincent, de Sylvie Vartan, de saucisson et des seins d'Ophélie. 

La nuit, quand je vais pisser, je n'éclaire pas la lumière et même je ferme les yeux, pour me réveiller le moins possible. Un jour je vais m'étaler quelque part, c'est sûr, avec les doses de somnifères que j'avale, j'ai beau avoir mémorisé le trajet depuis longtemps, les obstacles poussent comme des champignons, c'est magique, et il arrive que je sois complètement désorienté, ce qui est une expérience assez savoureuse mais parfois inquiétante.

J'ai connu quatre Sylvie. Sylvie Richard, qui m'avait branlé dans un champ près de la maison, à Rumilly, un soir d'hiver, et qui s'est pendue. Sylvie Hardouin, qui était venue poser chez moi, place des Vosges, à la fin des années 80, que j'avais couchée sur un grand pastel de Céline, elle s'en était mis partout et avait dû aller prendre une douche, gentille fille qui posait à poil pour arrondir ses fins de mois. Sylvie Fournier, grande famille d'Annecy, que j'avais connue à un mariage, ça doit être une des seules fois de ma vie que j'ai dansé. Elle faisait rêver mes condisciples à Saint-Michel, quand elle venait me voir le mercredi après-midi, parce qu'on sentait tous nettement que c'était ce qu'on appelle « une vraie femme ». Et puis Sylvie Je-ne-sais-plus-quoi, qui était mon élève au conservatoire d'Issy-les-Moulineaux. Visage bouleversant. Bout des doigts. 

Mon voisin M., qui passe chaque matin en Méhari devant chez moi pour aller chercher sa baguette à la boulangerie, a un petit-fils qui a les honneurs de l'actualité. J'ai découvert ça hier dans la feuille de chou locale, Figurez-vous (jeu de mots avec « figue »). Il a publié un livre de poésie. On pourrait se moquer, bien sûr. On pourrait rire un bon coup. J'en ai déposé quelques extraits sur Facebook, sans dire de quoi il était question, il s'est trouvé quelques personnes pour liker. Hum… Il me fait penser très fortement à Michou Pectorian, sauf que lui il se maquille comme une fille et qu'il n'a pas de gros biceps. C'est une nouvelle race qui pousse, et là, je parle de ce qu'ils écrivent. Il est parfaitement évident qu'ils ne comprennent pas ce qu'ils disent, qu'ils emploient des mots dont ils ne connaissent pas le sens, leur syntaxe est, comment dire, très honnête, ils ne peuvent rien cacher, et personne ne semble leur avoir dit qu'à chaque phrase ils se déculottent jusqu'au trognon. On les invite à la radio, ils font des conférences, cette andouille d'Amélie Nothomb les préface. Il ne manquerait plus que la Merveilleuse s'en empare pour que le tableau soit complet. Il s'en passe, des choses, par ici !

« Comme on comprend mal le monde quand on est jeune. »

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