lundi 12 avril 2021

Serge

Un des rêves qui me hantent est celui dans lequel un de mes bons amis d'antan (mort) revient sous une forme absolument terrifiante. 

Professeur de guitare au conservatoire, roux, toujours sans le sou, très laid, racontant chaque semaine les mêmes blagues que j'étais le seul à trouver drôles, il méprisait tous les musiciens classiques, et, je ne sais pourquoi, avait une admiration sans bornes pour moi — je veux dire, pour moi au piano. Je l'invitais souvent au restaurant le mercredi soir, car je savais qu'il se nourrissait de tablettes de chocolat et de Coca. Il avait eu deux jumeaux sur le tard avec une ex-femme à lui, complètement folle, qu'il avait répousée après avoir divorcé d'elle difficilement. Il me racontait sa guerre sur le Golan, dans les chars, qui lui avait abîmé les tympans.

Dans ces rêves, ces cauchemars, plutôt, il est d'une violence épouvantable, d'une terrible méchanceté avec moi, il me hait à un point inimaginable, et me fait subir toutes sortes de terribles sévices ; il est doté une force inouïe, on peut dire qu'il est invincible, c'est le Mal personnifié, et il me poursuit de cette haine inextinguible qui me terrifie. Pourquoi ?

Pourquoi ?

Je me suis réveillé plusieurs fois, terrorisé, et aussitôt rendormi, sans échapper au rêve…

Je n'ai pas assez dit qu'il en avait après moi. Il me fait du mal, mais pas seulement à moi, il est d'une violence insoutenable, il en fait à tous ceux que j'aime ou avec qui je suis lié, et j'ai peur pour eux, car ils ne se méfient pas. Si je les prévenais, ils ne me croiraient pas.

En avoir après quelqu'un, c'est bien d'après, qu'il s'agit, ici…

Je n'ai jamais raconté ça à personne. Et si je n'ai jamais raconté ça à personne, n'est-ce pas parce que je me sens coupable ? Mais coupable de quoi ?

Iris et Alone, les prénoms de ses jumeaux me reviennent à l'instant. Il habitait un appartement rue du Pont Louis-Philippe, et il avait encore sa mère, alors que tous ses parents avaient été décimés par la Shoah. Il passait ses soirées à regarder des films du genre Terminator.

C'est d'autant plus incompréhensible que même ma mère, qui ne l'avait rencontré qu'une seule fois, à Paris, alors que nous étions coincés dans un embouteillage, rue de Rivoli, l'aimait beaucoup. 

Serge avait une auto rouge, sujette aux pannes, que nous devions pousser, souvent, et dont les portières grinçaient affreusement. Le sol et les sièges en étaient jonchés de papiers, de canettes vides, et de détritus en tout genre, qu'il balayait d'un revers de la main, quand nous posions nos fesses à ses côtés. Souvent, il m'attendait, à la sortie du conservatoire, ou bien c'était l'inverse, car ce court voyage en voiture était devenu un rituel, et il arrivait fréquemment qu'il finisse la soirée chez moi.