(Il n'y a pas assez d'[idées] dans mes phrases. Il faut que je mette des [idées] dans mes paragraphes.)
Je pourrais commencer par l'[idée]1, et poursuivre avec l'[idée]2. Mais que placer entre l'[idée]1 et l'[idée]2 ? Des adjectifs, des verbes, des compléments d'objets, des propositions plates, sans idées, des incises ? Comment faire, surtout, pour que l'[idée]1 et l'[idée]2 aient l'air de coexister pacifiquement, de ne pas se bouffer le nez, de ne pas empiéter l'une sur l'autre, et pourtant de bien se différencier, de rester tout de même des [idées] singulières, indépendantes ? C'est bien gentils, les [idées], mais elles ne doivent pas empêcher de faire des phrases ! Cependant, il ne faut pas non plus que les phrases diluent les [idées] dans leur mouvement naturel de phrases.
Admettons que je réussisse à faire une ou deux phrases dans lesquelles je place deux [idées] à des endroits stratégiques et idoines, que ces [idées] soient à la fois reconnaissables dans leur essence d'[idées] et suffisamment plastiques pour ne pas contrarier le mouvement naturel des phrases. Comment passer ensuite à l'[idée]3 ? Avec le même procédé ? Il ne faut pas lasser le lecteur. Mais il faut aussi lui donner une nourriture suffisamment riche pour qu'il ait la sensation de ne pas perdre son temps. Le lecteur est un con mais il ne veut pas se faire avoir.
Avez-vous connu les baraques à strip-tease à Pigalle, à Noël ? Je fus dans les hommes qui se pressaient là, les pieds dans la boue, les doigts gelés, à la nuit tombée. Il fallait sortir de chez soi, aller dans le froid et la honte, avec les autres hommes, il fallait se tenir là, minable parmi les minables, mains dans les poches. Le cœur absent.
L'idée était de voir une femme nue, de voir ses seins, de voir sa chatte, et ses fesses. L'idée nous faisait sortir de chez nous et nous traînait là, pitoyables, dans le bruit et le froid, dans la laideur, surtout.
Ces femmes n'étaient pas très jolies, elles étaient parfois laides, elles étaient mal fardées, toujours affublées d'habits de très mauvais goût, et leurs paroles n'étaient guère engageantes, non plus que leur voix. La sueur se voyait sur leur mauvaise peau, même quand elles étaient en petite tenue sur une estrade en plein air, mal réchauffées par un poêle à gaz miteux qui rougeoyait près de leurs jambes métaphysiques.
J'ai aimé ça. J'étais une idée parmi d'autres idées, une idée sans phrases. Hors de l'humanité, pour ainsi dire. Les idées sont toujours à l'extérieur. Les idées sont des putes qui tremblent de froid. Elles ont des pieds fatigués. Ce n'était même pas du chagrin, qui se voyait là, c'était seulement les hommes et les idées qu'ils avaient trainées là dans la nuit d'hiver. On ne se lamentait pas du tout, non, personne ne se plaignait, on était bien content d'être là, les pieds dans la boue, avec les autres.