— Oui, on peut s'appeler Georges. On peut s'appeler Ophélie, Jacques, Yvon, Marcel, Laure, Octave.
— Octave, ça me fait rire.
— Sais-tu ce qu'est une octave ?
— Oui, enfin non.
— C'est l'intervalle de huit notes qui sépare deux do, par exemple, sur un piano.
— Deux la aussi ?
— Oui, deux notes de même nom. Tu connais les notes ?
— Évidemment !… Si on se tourne le dos, on est à une octave l'un de l'autre !
— Exactement. Et nous avons chacun notre là.
— Et on est tous sur un sol !
— Si seulement…
— Je vais raconter ça à mon père.
— Tu vas lui parler de moi ?
— Bien sûr ! Il s'appelle Jérôme, mon père.
— Et ta mère ?
— Pauline.
— C'est joli, Pauline. Ma mère aussi se prénommait Pauline.
— Les notes sont en ligne.
— Comment ?
— Les notes… Je les vois nager dans leur ligne d'eau. Elles flottent…
— Comme des canards ?
— Comme des petits cochons sur l'eau, ah ah ah !
— Sept petit cochons qui sauraient nager…
— [elle rit encore]
— Sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles / La blanche Ophélia flotte comme un grand lys…
— C'est quoi ?
— C'est un poème.
— Elle savait nager aussi ?
— Pas tellement.
— L'onde, ça veut dire l'eau ?
— Oui, c'est ça. L'eau et les sons, c'est un peu pareil.
— Ça coule dans l'oreille comme quand on est dans le bain… J'aime bien la poésie.
— Tu connais des poésies ?
— Oui, je connais : "Dansez les petites filles, / toutes en rond. / En vous voyant si gentilles, / les bois riront. / Dansez les petites belles, / toutes en rond. / Les oiseaux avec leurs ailes / applaudiront. / Dansez les petites fées, / toutes en rond. / Dansez, de bluets coiffées, / l'aurore au front." Victor Hugo.
— Bravo ! Tu as appris ça à l'école ?
— Non, c'est ma mère qui me fait apprendre des poèmes par cœur.
— Et tu aimes ça ?
— Oh oui. Mais l'autre jour j'ai fait un mauvais rêve. Dans mon rêve, je devais réciter un poème à mon père, et les mots sortaient tous dans le désordre, et alors la figure de mon père se déformait. Pourtant je connaissais bien le poème, dans ma tête, mais dès que je récitais, les mots n'étaient plus à leur place.
— …