Journal de Renaud Camus
Plieux, samedi 20 février 2021, sept heures et demie du soir. On écrit toujours l’autre livre, un autre livre (que celui qu’on écrit). On écrit le livre suivant, on corrige le livre précédent. On écrit un livre impossible, qui n’existera jamais, serait-ce seulement parce que nous sommes incapables de l’écrire — il nous rendrait fou, nous tuerait, et mettrait le monde en révolution.
J’appelle vrai travail le livre que j’écris, officiellement, c’est-à-dire que je n’écris pas. Le livre qu’on n’écrit pas se reconnaît à ceci, qu’il demande beaucoup de travail, que naturellement on répugne à fournir. À peine s’y met-on, tout se brouille. Ce qui semblait parfaitement clair quand on ne l’écrivait pas devient opaque et captieux, élusif en diable, impossible à cerner, dès lors qu’on se mêle de l’écrire. Toutes les pistes qu’on suit et toutes les idées qu’on presse semblent dévier, mener au livre qu’on n’écrit pas. Il faudrait être assez malin pour tromper le Sort, ou la Lettre, et les convaincre, selon une structure d’histoire juive, qu’on se donne l’air et les gants d’écrire tel livre pour qu’ils se persuadent qu’on écrit tel autre, alors qu’en fait on écrit bel et bien le premier.
Il y a depuis quelques années des entrées qui ne renvoient à rien, qui ne sont index de rien, dans l’Index des Églogues et des Vaisseaux brulés. Ce sont des pierres d’attente, qui un jour devraient produire du texte, et mériter ainsi, a posteriori, le rôle et la fonction qui leur sont dévolus. Qui sait si Dieu n’a pas procédé de la sorte, pour construire le monde ? — ce qui expliquerait le médiocre agencement de bien des parties et ce jeu, entre les différents chapitres.
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