Il fait doux. Trop doux (17°). Heureusement, à l'intérieur de la maison, le froid est toujours là, mon fidèle compagnon. Je vais faire des courses à Alès, tout à fait comme si j'allais fêter Noël, moi aussi. C'est la même chose chaque année. J'observe les gens qui font leurs courses, ils sont pressés, ils ont en commun cette légère fièvre des jours de fête. Arrivé à la caisse, il me manque un euro et trente centimes pour régler mes achats, je dois enlever un article. J'hésite un moment, car je sais que ce qui grève mon budget, c'est le livre. Je n'achète jamais de livres, d'habitude. J'ai fait une exception. Finalement, je garde le livre, et j'enlève des fruits. La caissière doit appeler sa supérieure, qui met du temps à venir, les gens s'impatientent, derrière moi. J'ai mal calculé, ça peut arriver à tout le monde, non ? J'ai bien une carte bleue, mais je ne m'en sers jamais. D'ailleurs, quand ça arrive, en général, elle ne fonctionne pas. Elle fait la gueule, sans doute. Une carte bleue qui sert deux fois par an ne peut que faire la gueule. Je n'ai pas de cours, ni aujourd'hui, ni demain, ni aucun des jours qui viennent, jusqu'à l'année prochaine. En somme, je suis en vacances. Je ne crache pas dessus, même si j'aurais préféré donner des cours, pour avoir un peu d'argent.
C'est un petit volume de cent pages, dans la collection l'Infini de Philippe Sollers, chez Gallimard. Marc Pautrel est le nom de l'auteur. Avant-hier, je n'en avais jamais entendu parler, et hier, je suis tombé par hasard sur son blog, en cherchant autre chose. Il m'a intrigué. J'aime les récits de rencontres. J'en ai lu pas mal, et ça m'a remis en mémoire mon "Sarah, Printemps", car le titre de celui-ci est "L'éternel printemps".
J'aime ces moments où je me sens abandonné de tous, délié de tout. Un temps neutre. Pas d'appels, pas d'horaires, aucune obligation, lumière pâle. L'impression étrange que personne au monde n'est au courant de mon existence. Je suis vivant, mais comme hors du monde. Ce n'est pas désagréable.
J'ai mis la radio mais je ne l'écoute pas. « Merci d'avoir choisi France-Musique. » Je n'ai rien choisi, justement. J'ai appuyé sur un bouton qui n'a aucun rapport avec la musique que j'ouïs malgré moi. D'ailleurs je me lève pour aller éteindre le poste. Il y a des jours et des jours que je n'écoute plus de musique. Silence dans la maison. Silence en moi. J'ai répondu à trois messages amicaux, par peur de paraître impoli, mais c'est comme si je parlais tout seul. Je ne crois pas réellement à la présence d'autres êtres humains sur terre. Il y a un décor, autour de moi, pour que je ne sois pas inquiet, mais je sais qu'il s'agit d'un décor, et qu'en réalité je suis seul avec les millions d'ordinateurs de par le monde qui continuent à fonctionner par habitude.
Par exemple, cette Isabelle qui m'appelle régulièrement au téléphone : je sais bien qu'elle n'existe pas. Elle au moins n'essaie pas de faire semblant. Ma famille non plus n'existe pas. Une preuve ? Sur l'écran du PC qui est allumé devant moi, je peux lire : « Veille de Noël. France. Aujourd'hui toute la journée. » Ce qui n'a pas le moindre sens. C'est à ce genre de détails que je comprends que les hommes ont abandonné le monde aux machines. Pourquoi m'a-t-on oublié, moi ? Je n'en sais rien. J'ai dû faire quelque chose de mal, mais je ne sais pas quoi. Ce n'est pas grave. Tout fonctionne normalement, y compris Netflix et Youporn.
Noël ? Ah oui, ça me revient. Jésus, le bœuf et l'âne, l'étable. L'odeur du sapin et des mandarines, le cardon.