samedi 28 décembre 2019

Morues et pics à glace


Ça y est, la machine anti-Matzneff est lancée. Quoi qu'il ait pu faire par le passé, je suis spontanément pour lui, contre les hyènes à retardement moral programmé qui viennent trente ans après mordre un cadavre déjà tiède. Je ne supporte plus ce siècle de curées. 

Comme dirait l'autre, il n'y a que des coups à prendre, dans ce genre de combats. Si vous n'emboîtez pas le pas aux procureuses publiques, les accusations de "défendre la pédophilie" fusent de toute part, subtiles comme la Grosse Bertha. C'est l'époque qui veut ça. Il faut parfois accepter de se trouver dans le mauvais camp : les morues ont le pouvoir ; elles ne vont pas lâcher le pic à glace de bonne grâce, c'est moi qui vous le dis. Tout à l'heure sur Facebook, je lisais cette phrase, sous le clavier d'Yves Castel : « L'anachronisme est le premier signe de la folie d'une époque », phrase qui m'a fait penser à ce titre extraordinaire du Monde, dans un article consacré à l'"affaire" : « Les temps ont changé : il est devenu indéfendable ». Ils se félicitent tous que les temps aient changé. Très bien, mais alors qu'ils soient un peu conséquents ! Si "les temps ont changé" (que les temps aient changé, ça, nous nous en sommes aperçu), alors il ne faut pas juger des choses qui sont arrivées trente ou quarante ans plus tôt avec nos critères d'aujourd'hui, ça tombe sous le sens. On ne peut juger que dans la contemporanéité ou dans la permanence (vous allez intenter un procès aux Grecs, ou à André Gide ?).  Indéfendable, Matzneff ? Dans notre époque de culs de plomb, oui, il l'est. Mais tout passe, même la connerie. Tout se renverse, même la morale. Les morues vivent dans un monde sorti du temps : elles sont persuadées que leur morale, qu'elles croient ultime, est indépassable. C'est la prétention de Moderne, qui est indépassable.

Mais, dans le fond, peu importe. Je me moque absolument de savoir si ce qu'on appelle aujourd'hui "pédophilie" (si l'on adopte les critères des morues qui braillent dans le vent, j'ai moi aussi été pédophile) est bien ou mal. Ça ne me concerne pas. Je ne peux cependant pas m'empêcher de noter que les pourchasseuses professionnelles de pédophiles sont en général très indulgentes avec les vrais violeurs, ceux qui font du mal aux femmes ou aux enfants, ceux qui les brutalisent, qui les mutilent, qui les violent et qui les assassinent. À ceux-là, elles sont prêtes à trouver toutes sortes d'excuses. Gabriel Matzneff n'a sans doute jamais fait de mal à personne, il est bien trop respectueux des autres et délicat pour cela.

Je n'ai aucun penchant pédophile. Les enfants m'emmerdent copieusement, en général, et je trouve aujourd'hui bien plus de charme et d'érotisme à une femme de quarante ou cinquante ans qu'à une adolescente. En cela, j'ai changé, puisque lorsque j'avais trente ans, je suis tombé éperdument amoureux d'une jeune fille de quinze ans et demi. Elle aussi était amoureuse de moi. Nous sommes restés trois ans ensemble, et je garde d'excellents souvenirs de cette histoire d'amour. Ses parents étaient au courant, pas la peine d'aller leur téléphoner, pour me faire condamner trente ans après les faits. C'est la femme avec laquelle je vivais alors qui s'était gentiment chargée de les prévenir. La pauvre en a été pour ses frais. La honte de la délation, seule, lui en a échu, et le remords, j'ose l'espérer, de s'être ainsi comportée. Je ne lui en veux même pas. Je n'aimerais pas être à sa place, c'est tout. La délation est sans conteste une des choses qui me font le plus horreur. D'ailleurs, si cette femme m'a dénoncé, c'est bien parce qu'elle a compris alors qu'il s'agissait d'une véritable histoire d'amour entre cette jeune fille et moi. Ce n'est pas de l'"adolescente", que j'était tombé amoureux, mais de C.

Il y a, derrière cette violente déferlante de règlements de compte intempestifs et souvent louches, l'alliance provisoire de deux forces qui se croisent : le féminisme nouvelle manière et le vieil ordre moral qui rongeait son frein depuis mai 68. Ces deux-là, c'est un peu comme le Remplacisme et l'Islamisme : tout à leur pacte germano-soviétique du moment, ils en oublient volontiers leurs contradictions. C'est dans la Revanche de l'inconscient spadassin qui part au combat que les malentendus fermentent avec la joyeuse vigueur de l'imbécile qui se prend pour un justicier : on verra plus tard comment ils s'en arrangent.

Infréquentables, indéfendables de tous les pays, unissez-vous ! Il faut en prendre son parti, nous entrons dans un moment historique qui veut l'unanimité partout et toujours. Le moment littéraire, le moment artistique, la gentillesse et la civilité, la complexité, et même la dualité, c'est du passé, nous ne supportons plus que le premier degré, le même, le présent, l'indicatif, la ligne droite, le littéral et l'alignement des opinions ; la Science — dans ce qu'elle a de plus bête et de plus restrictif — a emporté le morceau, et nos couilles. Le Bien, c'est un horizon, une tendance, une direction. Dès que le Bien s'impose à nous partout et toujours, dans tous les niveaux du sens et à tous les stades de la vie, il devient un enfer. C'est toujours au nom du Bien que les totalitarismes se sont imposés et que les massacres ont eu lieu. Le Bien pur est invivable. Et le pire est que le Bien pur évite, la plupart du temps, de s'en prendre au Mal réel, concret, c'est-à-dire au mal que nous avons — ici et maintenant — sous les yeux, surtout quand il est puissant et dominant. Le Bien pur n'aime que les effigies et les salauds faibles, le Bien pur aime donner des claques à sa grand-mère.

Mais vous allez sans doute vous croire obligés de me demander à quoi on reconnaît une morue contemporaine ? C'est assez simple, rassurez-vous. Une morue, emmetooflée dans un ressentiment très-étroit comme son trou de balle, déclare "sans talent" quelqu'un qu'elle n'a pas lu, ou qu'elle ne comprend pas. En déclarant cela, elle espère, par une sorte de redistribution  magique et démocratique, récupérer un peu de ce talent qu'elle ne voit pas chez l'autre. Ne la détrompons pas. C'est Noël !