samedi 13 mai 2023

Hymn

Cercles. Endormissement. Devant une neige, un Être de beauté de haute taille. Il suffisait de refermer la porte pour que tout redevienne calme. Une histoire racontée dans une langue qui n'était pas la mienne. Des sifflements de mort et des cercles de musique sourde font monter, s’élargir et trembler comme un spectre ce corps adoré ; des blessures écarlates et noires éclatent dans les chairs superbes. Au loin s'agitent des fantômes. Je les regarde par la fenêtre. Les couleurs me parlent directement, je comprends qu'il ne s'agissait que d'une histoire racontée, une histoire parmi d'autres. Les couleurs propres de la vie se foncent, dansent, et se dégagent autour de la vision, sur le chantier. Ils discutent fébrilement, peut-être, ils s'affrontent, sans doute, ils se menacent, se congratulent, s'embrassent, se déchirent, se reconnaissent et donc s'excommunient. Si je le reconnais, je n'en comprends déjà plus le fonctionnement. Et les frissons s’élèvent et grondent, et la saveur forcenée de ces effets se chargeant avec les sifflements mortels et les rauques musiques que le monde, loin derrière nous, lance sur notre mère de beauté, — elle recule, elle se dresse. Des pans de murs entiers sont recouverts de leurs vociférations électroniques. Mais déjà s'éloigne la morale. Nos os sont revêtus d’un nouveau corps amoureux. La longue phrase de violon s'étire dans le soir qui vient. Par-delà la grande arche, et plus haut, on aperçoit la paix immuable et légère, dans son éternelle lumière. J'observe sans y croire ce corps qui était le mien. Vite, réaliser dans l'âge mûr une pensée de jeunesse ! Ô la face cendrée, l’écusson de crin, les bras de cristal ! le canon sur lequel je dois m’abattre à travers la mêlée des arbres et de l’air léger ! Un accord, qui semble infini, me prend et me porte : mes pensées se sont tues. Le bruit de leurs disputes n'arrive plus jusqu'à moi. Rassurez-vous, nous nous en expliquerons après notre mort. Il joue Hymn. Des harmonies brahmsiennes, des fulgurances métalliques et timbrées de noir. Outre-prière : le rêve du matin nous a projetés si loin que nous avons cru un instant ne pas avoir la force de revenir. Sur la page flottent encore quelques harmonies cuivrées, elles reculent, elles se dressent. Nous empilons des accords de neuvième ; ils se creusent les uns les autres et dans les miroirs nous voyons la fumée et la pourriture. Valeurs longues. La chair frissonne, que des oiseaux tristes viennent piquer du bec. Tout est si net que la mort ne nous effraie plus. Les mains s'agitent à la portière. La voiture s'éloigne. Odeurs de lilas et de genêts.