« Leur accord sur la taxation des plus-values avait d'emblée été total. » Joindre les détails cordialement, c'est important, mais Anne-Sophie pétait vraiment beaucoup, arrivée de toujours. Je me demande si c'est toujours le cas aujourd'hui. Océan-ocre-octave-oculus-odieux. Je demande parce que je sais aujourd'hui comment régler le problème, Anne-So, ce que j'ignorais à l'époque, qui t'en iras partout. Ton absence remplit complètement ma vie, et la détruit, crible les fléaux. Mais, heureusement, JEAN YVES RICHARD m'écrit pour me laisser toute sa fortune (2.000.000,00€) : suite à des anαlyse [il est] affecté par le Virus Covid-19 et [il a] un Cancer en phase terminale. Alors [il] souhaiterai[t] [me] fαire un doη de [sa] fortuηe. Ci-joint, les détails. Cordialement. Tout ce que je crois écrire revient me battre quand je sors, à commencer par le temps. Dans le couloir de la mort, nous y sommes bel et bien, quand je dors. Leur chapeau est si gros qu'ils ont du mal à le manger par la racine. Nous étions habitués, nous, les vieux, à un monde dans lequel la folie était certes bien présente mais circonscrite — Oh ! olive olfaction ombre omission. Il y avait des lieux pour elle, comme il y en avait pour la tolérance. La nouvelle Loi qui ordonne de briser toutes les frontières l'a fait sortir de ses gonds, et désormais elle se balade parmi nous — sans attestation. Ne cueille pas ces fleurs, Odalisque ! Prends tout le jardin (odeur ode, offense offerte) ! La folie, comme les hommes, a migré, et nous sommes en train d'apprendre à vivre (ensemble) avec elle. La force et la puissance sont tout entiers dans le beau geste. Ça s'entend, tu sais ! Un coup de ton doigt sur le tambour, elle ne se plaisait plus chez elle, elle voulait apporter au monde son monde à elle. On ne peut pas tricher avec ça. Un pas de toi, c'est la levée des nouveaux hommes. Peu de choses sont plus humiliantes que le spectacle d'une femme, acheminement vers la parole, qu'on aime ou qu'on a aimée, qui reçoit des compliments immérités, ou qui reçoit des compliments de crétins finis, à propos de photographies où elle est moche. Le phrasé, en musique, procède toujours d'un beau geste vers la parole, et la musique ne peut être que forte et puissante. Les idées viennent en écrivant vers la parole : personne ne t'a remplacée et commence la nouvelle harmonie. Quand on les attend, les idées (orgues), elles nous tirent la langue, cachées derrière leur mont chauve (orient, orteil ortolan), et c'est bien fait pour nous. Elle avait des gaz, comme on dit. Écoutez-les, ces quelques notes du commencement du premier nocturne de Chopin, qui tournoient autour du si bémol pour s'incliner sur le fa répété, alors la femme disparut, et reprendre ensuite leur cheminement ondulé vers le si bémol grave en faisant une brève étape sur le ré bémol. Il y a toujours un mont chauve pour nous séparer de nos idées. Heureusement. L'impression de se sentir étranger à sa propre vie a quelque chose de grisant qui nous force à trouver d'autres liens à nous-mêmes. Je sortis dans la ville sans fin, ce n'est pas toujours facile. La moindre faute de goût, ô, fatigue ! prouve qu'on a tort. Jamais, jamais, jamais elle ne m'a écrit de manière hideuse. Je fus très ému de même qu'une phrase écrite nous permet de connaître quelqu'un mieux que sa conversation (et tous les effacements revivent), la photographie, parce qu'elle arrête les visages, et je la vis dans mon lit, et les place dans une position où ils semblent inclure leur propre mort, toute à moi, nous montrent des choses, sans lumière, dans les êtres, que leur fréquentation (que la vie en eux) nous cache soigneusement. Si la musique fait tellement souffrir ceux qui l'aiment, noyés dans la nuit sourde, c'est parce qu'elle nous isole de la manière la plus radicale qui soit. J'aimerais manier les guillemets comme on pavoise, comme on porte haut les oriflammes, comme enfin on habille sa maîtresse (l'oubli n'est autre chose qu'un palimpseste), j'aimerais citer sans relâche, oubli ouaté, pour porter ma voix parmi les nombres (qu'un accident survienne, et tous les effacements revivent dans les interlignes de la mémoire étonnée), j'aimerais me frayer un étroit chemin, presque nu à travers les ombres et trouver là un peu de la lumière dont l'absence me brûle, j'aimerais ouvrir la bouche pour laisser parler les autres, et dans la fuite du bonheur, once, onde, rapporter, ondinisme ongle, faire écho, oui ourlé ouh là là ! laisser entendre, m'instruire enfin dans le bourdonnement infini de la conversation des écrivains (se taire, non, il n'en avait plus les moyens, même s'il connut un tremblement de haine et d'effroi à entendre sa voix remonter de l'abîme où il croyait l'avoir à tout jamais précipitée et perdue), être l'oreille qui se fait bouche, être le mot de passe, dans le couloir de la mort, la phrase de passage (non, il n'était déjà plus de force à lui résister : évanouie seulement, voilée peut-être, mais encore là, insistante, inébranlable, comme pour le prendre en défaut de vigilance et le rejeter dans un nouveau tourment), la fenêtre ouverte vers l'intelligence. Je lui suis infiniment reconnaissant d'avoir toujours fait attention à ce qu'elle m'écrivait, à ce qu'elle écrivait et à la manière dont elle l'écrivait, au ton qu'elle employait pour m'écrire. Ma dette est immense, je la pris. Onze opaques opéras. Jamais je ne pourrai m'en acquitter. C'est par là qu'il faut commencer, par la dette. La musique est la grande Séparatrice, avec la Mort et l'Amour. Ophélie, oblique obsession obvie. Les mots sont vivants ; eux aussi sont entourés de silence, d'espace. Eux aussi ont des organes vitaux ; ouvrir outre. Eux aussi sont mortels ; os, oser, ostracon. Je ne serai plus là depuis longtemps quand la vérité éclatera, mondaine qui se donnait, et d'ailleurs, elle n'éclatera pas. Elle est déjà là, mais on ne connaît pas sa physionomie, j'étais en haillons, moi. Visiblement, celle-là n'est pas en lien avec elle-même. La communication entre elle et son image est coupée, opium ophtalmique, car sinon on ne s'explique pas qu'elle choisisse presque systématiquement des représentations qui la montrent sous son plus mauvais jour, quand elle peut être si jolie. Le soleil est debout sur elle et sur ce trône le profane au rire effronté souffle gaiement des bulles rondes qui montent dans l'air rejoindre les mondes au fond de l'éther. On ne peut pas vivre sans déblatérer. Le crétin fini, lui, aime justement les images où la jolie femme ôter otarie ou est moche, car il ignore comme elle peut être jolie, il lui fallait s'en aller. La vie est vitesse, or, oreille-orgasme, alors que la photo c'est la mort instantanée. Le fondu-enchaîné que la vitesse amène avec elle gomme ces arrêtes — ordre orée orfraie. La photographie organe nous les rend visibles, car elle omet presque tout le reste. Or il est gris, ce dimanche, dans ma faiblesse indicible. Encore un qui me fait la gueule. Le crétin fini ne sait pas faire de compliment. Tout est dette. « Certains lundis de la toute fin novembre et du début de décembre, surtout lorsqu'on est célibataire, on a la sensation d'être dans le couloir de la mort. » Commencer un roman par une caricature de son propre style est aussi l'une des marques de génie de Michel Houellebecq. C'était comme une nuit d'hiver : ses compliments sont humiliants pour tout le monde. Il s'agit d'une vérité indiscutable. D'habitude, j'écoute les sextuors de Brahms (ogive Odette Olga objet) quand il fait beau, mais il faut de temps à autre passer outre. Vivre, c'est simplement être dans le couloir de la mort. Même quand elle utilisait un smiley, ovaire ovale, ce qui était rare, c'était fait avec grâce et intelligence, et surtout avec une légèreté ravissante. Lala & Fafali n'y sont pas, ni Clara, ni Marie-Claude, ni Sarah. Elle dit à son amie : « Je ne suis pas assez déprimée pour coucher avec toi. » Le globe lumineux et frêle prend un grand essor crève et crache son âme grêle comme un songe d'or. Et quand elle s'est mal conduite avec moi, elle n'a fait aucune difficulté à le reconnaître et à s'en blâmer. Et l'autre lui répond : « Moi non plus. Et puis toi tu sens mauvais la nuit. » Le crétin fini ignore qu'il trahit la beauté, car il n'a aucune idée de la beauté, ni aucune exigence. J'entends le crâne à chaque bulle prier et gémir : “Ce jeu féroce et ridicule, quand doit-il finir ? Car ce que ta bouche cruelle éparpille en l'air, monstre assassin, c'est ma cervelle, mon sang et ma chair !” Tout est dette, même O. Mémo. Némo. Même eau. Oxyde ozone. On ne peut pas vivre sans virgules. L'austère cataclysme que l'on voit se porter comme une ombre ajoutée à son lent paroxysme prévient de son soupir celle qui va florir. Elle ne sait pas ce que c'est que de se réveiller à côté de quelqu'un froid comme le marbre, celle-là ! Comme les choses étaient simples, pures, oui, oui, pures, je courais dans un jardin enseveli, comme c'était reposant, de ne pas entrer dans les habituels dénis et explications tordues auxquels on a droit en pareil cas, avec la plupart des gens. J'étais venu tellement de fois en espérant qu'elle serait là. Vous la croisez sans la reconnaître, ce n'est pas votre faute. Tellement de fois ! Vous êtes en état d'arrestation. Nous le sommes tous. Vivre sans virgules, c'est la certitude que nous avons d'être seul face à elle qui lui donne cette amplitude désaxante. Et puis elle était là mais je ne la reconnais pas. Le crétin fini croit qu'en faisant un compliment immérité il mérite gratification. Plus on les gave de mensonges plus ils avalent comme des porcs, sans manières et sans mâcher, comme si leur vie en dépendait, comme s'ils n'avaient plus que quelques instants à vivre, sans virgules. Je n'aimerais pas être leur estomac. La vaisselle est toujours là, et l'argenterie, et les journaux intimes. M. Camille Saint-Saens a disparu ! Lala & Fafali ne sont même pas au courant. On m'a repoussé. Quand je dors du côté gauche, je pense à Isabelle. Le docteur Moustache garde tous les dessins faits pas les enfants qu'il a soignés comme des porcs. Saint-Saens qui lui aussi sentait mauvais la nuit se précipite pour voir l'éruption de l'Etna et revient en toute hâte à Paris pour entendre son cœur s'ouvrir à la voix. Notre cerveau n'est pas fait pour la musique, ni pour l'amour. Alors elle déblatère : ta tête se détourne : le nouvel amour ! La jeune femme seule et malheureuse, frustrée à bien des égards, ne sait pas utiliser les talents réels qu'elle possède et préfère traîner là où elle n'a rien à faire. Le pouvoir se présente nécessairement comme le rempart contre le danger qui menace ceux qu'il administre. C'est peu de dire qu'elle n'a pas confiance en elle, mais, comme tous ceux qui n'ont pas confiance en eux, elle ne supporte pas que l'on puisse remettre en cause sa confiance en elle. Elle n'a pas vécu à fond les idéaux de la société permissive. Le risque s'est peu à peu superposé avec les moyens de le prévenir, jusqu'à se confondre avec eux, comme le plaisir peut parfois se confondre avec la douleur. Alors elle déblatère : je vois la cime du néflier. Le sado-masochisme devient la norme. Lala & Fafali s'en foutent complètement, de Samson & Dalila. Elle parle à la vitesse de la lumière, respire en syllabes, sans penser plus qu'une culotte mouillée, sans sortir du tunnel où elle se râpe les côtes, se contredit tous les huit mots, se prend les pieds dans des phrases disloquées et hirsutes qui font peur à ceux qui écoutent. Bruno était déjà le prénom du héros d'un des tous premiers roman de Houellebecq, Les Particules élémentaires. Ici c'est un ministre-endive en exercice. Les Français vont instinctivement au pouvoir ; ils n'aiment pas la liberté ; l'égalité seule est leur idole. Or l'égalité et le despotisme ont des liaisons secrètes. Anne-Sophie pétait beaucoup, et je tombai sur elle. En réalité, elle pétait tout le temps. Apparaît cette chose tout à fait extraordinaire, quand on jeûne : ce qu'on met dans sa bouche n'est pas indispensable, comme on l'avait toujours cru. Bruno était le demi-frère de Michel, et était né en 1956, comme moi, et comme Houellebecq. Bruno Le Maire est bien plus jeune, puisqu'il est né en 1969, année érotique. Leur mère, Janine, « a vécu à fond les idéaux de la société permissive ». Le pourtoussisme flambe d'une joie mauvaise. Pour 98% des gens, l'art n'est qu'un alibi. Ils n'en parlent jamais autant que lorsqu'il n'en est pas question. On mange pour beaucoup de raisons, on mange très rarement pour se nourrir. Le froid dans une demeure, le froid installé et dominateur, le froid qui se trouve chez lui dans toutes les pièces de la maison se conduit comme un garde-chiourme intraitable et sadique : il ne cesse de taper sur les os de son patient, Bruno ou Boris, ou Jérôme, dès que ça lui chante, dès que celui-ci baisse la garde. Alors elle déblatère : En lisant les premières pages du roman de Houellebecq, je retrouve le plaisir que j'ai à le lire, plaisir intimement lié à l'ennui. La raréfaction a beaucoup de vertus, comme tout ce qui préserve de l'habitude. Mais elle y mettait une grâce, elle avait un tel charme, quand elle disait « pardon ! » (elle prononçait "perdon"), en tordant la bouche avec un petit air faussement ingénu et honteux, que pour un peu on l'aurait encouragée à s'épancher davantage. Décharge tous les sons : péter avec grâce, voilà qui n'est pas donné à tout le monde. Quand les œuvres sont là, simplement là, à leur disposition, sans émettre de signes extrinsèques (scandaleux, politiques ou commerciaux), ils ne les voient pas. Il interdit à son hôte de se laisser aller jamais, de s'installer dans le creux des heures, il ne lui laisse le choix qu'entre l'activité perpétuelle et la déroute. L'ennui est l'une des grandes qualités de la prose houellebecquienne. C’est le suspens qu’il y a dans l’ennui que nous a fait entendre le jazz. Il a fait plus : le jazz, lui et lui et seul, nous l’a montré pour la première et unique fois. Son roman commence très justement par la mise en relation de deux faits essentiels : l'abolition de la sexualité et la querelle alimentaire. Il faut aussi parler à ceux qui ne nous écoutent pas. C'est le ciel de notre époque. On se surprend à sans cesse prévoir l'activité suivante, à en ressentir déjà les effets dans les muscles, dans la chair, dans le souffle, on ne peut jamais s'installer dans un état, quel qu'il soit. Pas de repos, pas de gentillesse, la maison est hostile, où qu'on se trouve. Qui d'autre que lui aurait pensé à rapprocher ces deux-là ? La première phrase du troisième chapitre, pour anodine qu'elle paraisse, et justement parce qu'elle est anodine, plate et banale, est essentielle : « Le ciel est bas, gris, compact ». Le jeûne a une vertu extraordinaire, à laquelle on ne pense pas immédiatement, qui est de dégager du temps, beaucoup de temps. Depuis deux jours, c'est un piège géant et trop petit. C'est un constat et c'est le ciel de notre époque, dont il n'y a peut-être rien d'autre à dire. Là où l'on devrait trouver la sécurité et la sérénité, c'est l'anxiété et la détresse qui règnent. Nous sommes coincés entre une terre inhospitalière (en train de se défaire, à ce qu'on nous dit) et un ciel plombé. Aucune échappatoire n'est envisagée depuis deux jours. Vous aussi, je le sais bien. M. Camille Saint-Saens peut bien disparaitre à nouveau. Le ciel est bas, gris, compact, depuis deux jours. La journée est méconnaissable, quand on jeûne ; débarrassée de ses trois repas, le temps a une physionomie toute différente, je ne sais pas, et l'on peine à reconnaître la vie dont nous avions l'habitude. On ne sait pas quoi faire de son dégoût. Cette fois j'ai pleuré plus que tous les enfants du monde. Bruno, Boris, Michel, Daniel, Jérôme, Emmanuel, aux heures des désirs de mort. Ce qui m'afflige, c'est que le meilleur de ce que j'ai écrit soit mauvais, et qu'un autre — s'il existait, cet autre dont je rêve — l'aurait fait bien mieux que moi.