samedi 18 avril 2020

Le Mal en patience (3)


Les vieux savants, qui ne sont plus dans la course (avec leurs pairs), et qui ont acquis à ce moment de leur vie à la fois de la sagesse et de la liberté sont très souvent ceux qui ont les "intuitions" (appelons cela ainsi, pour le moment) les plus prometteuses, les plus porteuses d'avenir. Ce sont aussi ceux sur lesquels se déchaînent, en général, les jeunes scientifiques arrogants qui n'ont pas encore compris que la science avançait en zigzags.

Un certain rapport, un certain équilibre — miraculeux, du point de vue de la pensée — entre sagesse et liberté est la clef qui ouvre certaines portes, de celles qui resteront fermées à la plupart des chercheurs. En cela ils sont très proches des grands artistes. Je dirais même qu'ils sont de grands artistes. 

Arrivés à un certain moment de notre vie, nous sommes conscients d'être à la fois la chose et la chose qui observe cette chose. Un musicien est celui qui produit un son, mais aussi celui qui écoute ce son. Il est le premier auditeur du son qu'il produit, et son écoute n'est pas une écoute passive, mais une écoute active, c'est-à-dire que cette écoute va modifier le son en même temps qu'elle l'entend. L'information façonne le son. Moins le musicien ajoute entre l'information et le son, plus le son qu'il produit est beau — beau, car juste. 

Il faut avoir acquis une certaine vitesse — vitesse acquise par une vie de travail et d'étude, par la discipline (de la discipline) — pour que, sur cette lancée, et sans imprimer de force supplémentaire, la découverte survienne naturellement. Alors, le moins est le plus. La vitesse acquise permet, grâce à la force accumulée (force accumulée qui est en elle-même de l'information), de ne plus faire d'efforts pour parvenir au but, qui alors, s'atteint sans aucun travail. C'est le sens de la célèbre phrase de Picasso : « Je ne cherche pas, je trouve. » 

John Archibald Wheeler, un grand physicien américain, "père" des trous noirs, a une formule très drôle, et que je crois très juste. Il dit : « Ne jamais faire de calculs avant d'en connaître le résultat. » Le calcul peut corroborer une idée, mais il ne doit pas la produire. Le calcul n'est qu'une vérification a posteriori. Commencez donc par observer !