jeudi 16 avril 2020

Le Mal en patience (2)


La science a mis la main sur la médecine, ou bien, pour parler comme Renaud Camus, la médecine a été remplacée par la science médicale. Toute la crise actuelle nous le démontre. D'ailleurs, ce n'est pas une crise, c'est une révolution, c'est un changement anthropologique profond, qui accompagne d'autres changements anthropologiques profonds. Une remplacement ne va pas sans d'autres remplacements. Le Remplacisme n'est pas seulement une théorie, c'est une puissante vague de fond qui déferle sur le réel, et qui le retourne — nous en avons tous les jours la démonstration. 

Les médecins veulent soigner. La Science leur répond qu'ils n'en ont plus le droit. Ils doivent appliquer des protocoles qui sont décidés ailleurs que dans leurs cabinets, en dehors du face à face du médecin et du malade, face-à-face qui constituait jusqu'alors la base de la médecine. 

Les nations veulent exister en tant que nations, on leur répond qu'elles n'en ont plus le droit. Elles doivent appliquer les règles qui ont été décidées ailleurs qu'au sein de leurs peuples, peuples qui n'ont plus de légitimité, peuples à qui l'on ne demande plus leur avis avant de décider d'eux. 

Les hommes veulent exister en tant qu'hommes, les femmes veulent exister en tant que femmes, mais on leur fait savoir que ces vieilles notions ne recouvrent plus rien. La sexualité est abolie. Ne vous inquiétez pas, on vous fournira du plaisir autrement. 

Une gigantesque Rationnalité est à l'œuvre, derrière ces grands mouvements de fond, une rationalité dont le cœur est le Calcul. Le nombre, les nombres, ont remplacé les qualités et les essences, et bientôt les choses le seront aussi. La singularité est abolie. Tout est désormais reproductible à l'infini, et donc remplaçable sans perte. Le Numérique commence à révéler sa vraie nature. Tout ce qu'il ne comprend pas (aux deux sens du verbe comprendre), tout ce qu'il ne peut décrire et ingérer, n'existe plus. Tout ce qui n'est pas susceptible d'être ap-prouvé par une étude statistique est déclaré invalide. Ne vous étonnez pas que la conception littéraire du monde ait complètement disparu des esprits : elle était à peu près seule à pouvoir lutter contre la puissance du dieu Calcul. « En double aveugle »… ? Les yeux grands fermés, oui. Vos sens ne vous servent plus à rien, reniez-les publiquement ! Nous aurons des machines beaucoup plus performantes, qui ne seront pas gâtées par des affects singuliers et irréductibles à une théorie. Une théorie ? Non, LA Théorie. Celle qui englobe toutes les théories, et qui, comme toutes les théories indépassables, peut se réduire en définitive à un binôme sacré et pur : 1 & 0.

La médecine, comme la littérature, comme la musique, comme la parole, était un art, un art du vivant. Il était temps de passer à un autre stade, plus stable, moins incertain, et qui ne laisse aucune place à cette chose complètement démodée, qui était au cœur de l'homme : l'indétermination.