mercredi 19 juillet 2017

À propos d'une pétition…


Renaud Camus, journal du dimanche 16 juillet 2017

À propos de souci, la pétition continue de m’en donner elle aussi, bien que je n’en sois pas l’organisateur, ni le responsable logistique (heureusement pour elle !). Certes on a supprimé l’exigence d’une confirmation de la signature par courrier électronique, qui était très lourde, techniquement, et fonctionnait très mal. Cette suppression m’a permis de signer moi-même, et elle a rendu possible de le faire à quelques centaines d’autres personnes, longtemps empêchées comme moi. En ce sens c’était un progrès, que je célébrais hier soir ici même, un peu prématurément. Dans cette brèche ce sont engouffrés, en effet, toute sorte de fâcheux, de pénibles, d’irresponsables et d’adversaires patentés qui, pour déconsidérer l’initiative, signent “Adolf Hitler” ou “N. de Lautre”. De toute façon la surabondance de prénoms, d’initiales et surtout de pseudonymes d’un goût le plus souvent douteux, suffit à dépouiller le texte et la revendication qu’il porte de la plus grande part de leur poids éventuel et de leur sérieux. Voici donc qu’après m’être félicité de l’abolition de l’exigence de confirmation, je suis obligé de la déplorer. Il faudrait rétablir cette étape un peu lourde, mais faire en sorte que le cheminement qu’elle implique soit rendu aisé, ou seulement possible, pour tous, ce qui n’était pas le cas dans le premier arrangement. Dans ces domaines très spécialisés, j’en suis réduit au vœu pieux.

Bien affligeantes aussi sont les réactions coutumières des uns ou des autres, selon lesquelles les pétitions ne servent à rien — ce n’est pas cela qu’il faut faire, ce n’est pas à Ouchikh ou à moi qu’il revient de le faire, mieux vaudrait descendre dans la rue, arrêter les discours et passer à l’action, etc. Les mêmes, probablement, quand on les a appelés à manifester concrètement, place Denfert-Rochereau, place d’Italie, à la Bastille, devant Notre-Dame ou ailleurs, sont venus à huit cents, de toute la France, à trois cents, à quelques dizaines ou pas du tout — surtout pas du tout. Quoi qu’on fasse, ce n’est jamais à leurs yeux le bon geste, le bon moment, les bons protagonistes. Ils abondent en niaiseries convenues, pas forcément fausses, mais plus nuisibles que ce qu’elles affectent de dénoncer (“la guerre des égos”), en références fétiches (“il faudrait des couilles”), en soupçons insultants et qui bien entendu parlent surtout de ceux qui les émettent (“vendre des cartes d’adhésion… ”) ; bref, en préalables constats d’impuissance, qui sont les plus efficaces de tous les motifs d’impuissance. Et terriblement frappant, chaque fois, en parallèle à cela, est le manque de soutien réciproque, entre tous ceux, groupes ou individus, qui sont censés penser à peu près la même chose que les promoteurs de telle ou telle initiative.

Moi, contre toute attente, je trouve que je suis un modèle de bonne camaraderie, d’esprit de corps et d’ardeur unitaire. Je fais de mon mieux, avec mes maigres moyens, pour appuyer toutes les ébauches de refus de l’invasion, de révolte ou de regroupement qui se présentent, si excentriques ou désespérées qu’elles puissent paraître. Le moins qu’on puisse dire est qu’on ne me rend guère la pareille. Je ne suis pas près d’oublier le défaut de réponse,  les dérobades ou les fins de non-recevoir expressément signifiées, lors de la “conférence de Belle-Fontaine”, en août et septembre 2013. Une puissante organisation comme Fdessouche n’a pour ainsi dire jamais levé le petit doigt pour apporter son appui au moindre des projets que j’aie pu avancer. Si un jour il arrivait, après miracle, que la dissidence vainquît, la liste des occasions perdues, des années gâchées, des politiques du héron — autant et plus encore que de l’autruche — serait interminable.

Ce constat devrait décourager. Pourquoi vouloir sauver un peuple qui veut mourir, et sans cesse cherche des excuses à tout subir ? Pourquoi essayer de retenir, au bord du suicide, une civilisation qui n’aspire à rien d’autre que lui ?  Eh bien, parce que ce serait donner raison à ceux qui ont voulu, et créé, cet état de fait. Ce serait consacrer leur victoire, la leur offrir sur un plateau. Cette apathie mortelle où l’on voit gésir les Européens, cette veulerie hagarde où se complaisent les Français, cette hébétude ivre de sa propre impuissance, fascinée par la mort annoncée, fière du déshonneur promis, elles sont une création de tous les instants, un empoisonnement caractérisé des sources et des âmes. Il m’importe peu, après tout, d’encourir le reproche rituel et mécanique de conspirationnisme. Le terme n’a été inventé qu’à une seule fin : décourager toute réflexion sur l’entreprise de démoralisation et d’infantilisation en cours dans la société toute entière — entreprise que j’ai nommée, selon les contextes, Décivilisation, Grande Déculturation, industrie de l’hébétude ou remplacisme global ;  et pour laquelle le terme de conspiration serait, bien entendu, dérisoirement insuffisant — il ne s’agit pas de conspiration mais d’une effroyable machine à broyer les volontés, les intelligences, les fureurs et même les chagrins ; elle broiera jusqu’à ceux qui l’alimentent, et qui en tirent profit.