dimanche 3 juin 2012

Ich bin der Welt abhanden gekommen



Je réalise seulement aujourd'hui, en écoutant les Rückert Lieder chantés par Violeta Urmana et dirigés par Pierre Boulez, à quel point l'écriture vocale de Mahler a la capacité unique, non pas de déformer, mais d'informer le timbre de ses interprètes. Peut-être plus en ce qui concerne les chanteuses que les chanteurs. À chaque fois qu'on écoute une femme chanter Mahler, on entend le "timbre-Mahler" plus que le timbre d'X ou d'Y. Des cantatrices aussi différentes que Schwartzkopf, Ludwig, Norman, Otter, Kožená, Flagstad, Baker, Urmana, et même Ferrier, semblent se défaire en partie de leur signatures vocales lorsqu'elles abordent le chant mahlérien. Quel plus bel hommage que celui-là pourrait être rendu à un compositeur ? Que des femmes se défassent un instant, ne serait-ce qu'un peu, de ce qui les rend uniques, de leur puissance de séduction la plus essentielle, me paraît constituer un trait unique de l'interprétation musicale. Mahler serait le compositeur qui débarrasse les femmes d'elles-mêmes… Il faut croire que Mahler touche là quelque chose de très profond, au plus profond de l'être humain. 

Le début de ce merveilleux Lied, mais surtout la fin, je voudrais la graver sur ma tombe : « Je suis mort au tumulte du monde et repose dans mon tranquille domaine. Je vis seul dans mon ciel, dans mon amour. dans mon chant. » On sait que Mahler, en parlant de cette pièce, disait : « C'est moi-même. » C'était bien lui-même, en effet, dans cette sorte d'extase mystico-amoureuse qui le caractérise si souvent et si profondément. Gustav Mahler, pour moi, restera avant tout l'Amoureux. Amoureux d'Alma, amoureux du monde, amoureux de la nature, amoureux de la musique.