vendredi 15 juin 2012

Éclats de rire


À midi était reçue Nathalie Stutzmann, à la fois contralto et chef d'orchestre, à présent. Elle a une voix superbe et parle plutôt bien, mais elle me déçoit quand elle dit :

« Moi je ne supporte pas les frontières, les catégories, les étiquettes… »

C'est un thème et une opinion tellement rebattus, dont le contraire est si peu envisageable, qu'on se demande chaque fois qu'on les entend si les gens qui les expriment sont sérieux ou bien « s'ils font du deuxième degré », comme dit si justement Houellebecq à propos des hérauts des droits de l'homme. Mais voici qu'à ma grande satisfaction le journaliste qui reçoit la chanteuse, Hervé Gardette, je crois, lui rétorque :

« Tous nos invités nous disent ça… »

Tiens, il a remarqué, lui aussi ? Commencerait-il à trouver que mieux vaudrait laisser reposer un peu les platitudes de cet acabit ? Ce serait une fameuse révolution culturelle ! Hélas il ajoute, très sérieux :
« C'est qu'on n'invite que des anticonformistes… »

Ah ça ! on peut le dire — des anticonformistes chevronnés, en effet, bardés de tous les plus hauts diplômes de l'académie anticonformiste ; et qui jamais ne varient d'un iota sur la bonne doctrine anticonformiste…

***

En politique ça ne va pas mieux : une promesse de parrainage pour l'élection présidentielle, pas une de plus. La consigne au parti est de parler d'une cinquantaine. Comme je protestais on a transigé à une trentaine. Mentir m'ennuie, et puis nous serons bien ridicules quand la vérité sortira de son puits. Or il y aura toujours ce journal pour lui lancer la corde.


Pas besoin de commenter le premier de ces deux extraits de Septembre absolu, le journal de Renaud Camus pour l'année 2011, sauf à dire qu'il est absolument délicieux.

On pourrait également s'abstenir de faire le moindre commentaire sur le deuxième, si ce n'est que ce parti (le parti de l'In-nocence, donc) ne cesse de nous surprendre. Comment parvient-il, le plus souvent, à incarner si parfaitement le paradoxe absolu, la contradiction patente, emphatique, c'est un grand mystère, pour moi. Qu'on se reconnaisse à peu près en chacun des principes et en chacune des morales qu'il défend ou promeut n'empêche pas que tout, ou presque, dans sa manière de fonctionner, me paraît du dernier ridicule, et surtout être absurdement en contradiction avec la morale qui sous-tend son action. Apparemment, ces contradictions n'ont pas l'air de beaucoup gêner ses membres, et c'est précisément cette absence criante de vergogne qui jure si fort. Le "on a transigé à une trentaine" est vraiment à mourir de rire, et donne un peu l'impression d'être en face d'un qui se serait mis sur son trente-et-un, serait rasé de frais, aurait ciré ses souliers avec passion, choisi sa plus belle cravate, disposé sa pochette avec un soin maniaque, mais qui ne serait pas avisé d'une belle et grande tache marron sur le fond de son pantalon blanc.

Dans un autre ordre d'idées, leurs positions face aux évolutions du "monde arabe" et de ce qu'il est convenu de nommer ses "printemps" (et des attentes qui les accompagnent), ont tous les attributs de la farce. On a envie de leur demander ce qu'il va leur falloir pour commencer un jour à tirer les leçons de l'expérience. Mais, là non plus, le réel et ses conséquences n'ont pas l'air de vouloir s'aventurer à des altitudes si extrêmes. Un des effets concrets, réels, pratiques, du parti de l'In-nocence, me semble être de décourager par tous les moyens ceux qui pourraient être tentés inconsidérément d'en grossir les rangs : "Vous avez les mêmes idées que nous ? Nous allons vous dégoûter de vouloir les défendre", telle pourrait être la devise de cet étrange parti.