Martyr en sirop ? Supplicié à l'insu de son plein gré ? Con fini confit ? Pauvre Père Noël. Je ne vois rien de plus ridicule, de plus grotesque et de plus triste, au fond, quand on y réfléchit deux minutes, que ce personnage assez imbécile et son triste destin en Occident. Pauvre vieux clown enrôlé dans une comédie sinistre qui le lie pour l'éternité à un rite pour enfants gâteux dont le Christ n'aurait voulu pour rien au monde, et qui le prend en otage, Lui, d'une manière scandaleuse. Quelle immonde profanation !
Je hais les sapins de Noël. Les boules multicolores. Les guirlandes. Cette fête ignoble. Ces deux jours de l'année, le 24 et le 25. Les cadeaux de Noël. Les bûches de Noël. Les courses de Noël. L'affairement immonde de ceux qui vont fêter Noël. Qui se pressent dans les magasins. Qui courent partout, les bras chargés de leurs paquets dégueulasses, qui vous bousculent le sourire aux lèvres, pour la bonne cause. Foie gras, saumon fumé, dinde, jouets, friandises, dégoulinades de vœux, SMS, cartes, fourrures blanches, souliers rouges, vernis multicolores, achats de dernière minute, affolement, commandes en ligne, clignotements, étoiles en cataplasmes et spasmes de bons sentiments lancés au hasard, plastic, toc, reflets, neige artificielle ; le faux dans toutes ses dimensions et sa brutalité consumériste atteint son paroxysme dans un orgasme d'achats et une orgie de dépenses. Il y a désormais un site (ou une pratique, ou les deux) qui vend la mèche : On (y) revend les cadeaux non souhaités. Cette manière de faire est non seulement admise mais très encouragée, si j'ai bien compris. Rien ne se perd, n'est-ce pas, et la vérité non fardée sort de son puits dès le surlendemain des réjouissances. L'écologie, ici encore, sera sans doute appelée à la barre. Elle trempe dans toutes les saloperies, on a l'habitude.
« Noël 1951. Nous sommes le dimanche 23 décembre à Dijon. Sur le parvis de la cathédrale, une effigie du Père Noël est brûlée publiquement, en signe de protestation des autorités catholiques de la ville contre une figure païenne en pleine expansion. » Qui s'en souvient ? On peut aujourd'hui encore en voir les photographies sur Internet. Oui, le Père Noël est une ordure, et ce n'est pas forcément drôle.
Quand je vois passer des « bonne fête de la Nativité, la plus belle de toutes », je me demande si celui qui écrit ça est sérieux ou complètement fou. Mais où donc voient-ils une telle chose ? Où ?! Quels yeux faut-il, pour lire les choses ainsi ? En quelle occurrence, en quel village coupé du monde, dans quelle famille épargnée par la publicité et toute la puissance de frappe des hypermarchés de l'Univers célèbre-t-on cette Nativité, sérieusement ? Quelle blague atroce ! Comment ose-t-on écrire ça sans mourir de honte ? Le Veau d'or est dépassé depuis très longtemps par le Super-Veau-OGM de diamant ! L'ordure coule à flot, vêtue de morale bon marché — le mauvais goût est offert en prime. Ça coûte pas cher, c'est eux qui paient.
La grande fête chrétienne se borne à consommer le plus possible dans le minimum de temps et à sourire de toutes ses dents, sans aucune mémoire de l'étable misérable et miraculeuse. Ostentation, gavage, objets, partage, rires et chansons, bruit, musique : acheter et manger. Tout s'ordonne autour de ces deux axes, inextricable mélange d'amour et d'indifférence, de générosité et de voracité, de mémoire prétexte et d'inconscience pure et simple. Tout est caricature, y compris cette pauvre crèche qui n'a plus la moindre signification, hormis celle de donner à la cérémonie familiale ou sociale un vernis très vaguement religieux, de “faire référence”. Le mythe est charitable. Le Rite masque très mal le nom des banques internationales, il suffit de gratter un peu le vernis pour les faire apparaître. Bethléem n'est qu'un nom de code pour les flux financiers qui attendent ce moment de l'année avec des éructations de gratitude mal refoulées. Apposer l'adjectif « saint » à Noël est d'une solide obscénité.
Je suis noëlophobe et je l'assume. L'enfance, comme beaucoup de justes-causes ou de bons sentiments sacralisés (et donc neutralisés), a ce privilège malin de justifier l'injustifiable en rendant les objections insignifiantes ou scandaleuses. Ceux qui émettent quelque critique que ce soit sont immédiatement cloués au pilori de l'aigreur et de la tristesse, voire de la jalousie ou du ressentiment. C'est toujours au nom du Bien que les plus sordides calculs sont rendus invisibles, mais quand en plus le Bien parade en barboteuse, il faut se taire à jamais sous peine de se mettre soi-même au ban de l'humanité.
Mais trêve de bavardages, Noël, c'est encore Bukowski qui en parle le mieux : « Noël sert à rappeler à ceux qui sont seuls qu'ils sont seuls, à ceux qui n'ont pas d'argent qu'ils n'ont pas d'argent et à ceux qui ont une famille de merde qu'ils ont une famille de merde. »
Cette fête est utile. On a trop tendance à oublier que la vie est si belle que sa beauté nous aveugle complètement 363 jours sur 365.