vendredi 30 août 2024

Morveux

 

J'avais raison d'affirmer il y a déjà très longtemps qu'on reconnaît les imbéciles à leur passion très documentée pour le cinéma, mais j'étais encore trop gentil, comme toujours. Et surtout, j'oubliais les spécialistes de la pop et du rock. Ceux-là sont les plus grotesques et les plus pénibles de tous. 

Ce siècle est un siècle de morveux. C'est même Le Siècle du Morveux. Les femmes ne pondent plus que ça, mais ce qu'il y a d'extraordinaire, c'est que morveux ils naissent et morveux ils meurent. Il ne sortent jamais de leur état de morveux, pas une seconde, à aucune étape de leur vie. Cette maladie ne les quitte plus. Ils s'extasient même d'en être atteints. La morvosité leur colle au cul comme les serviettes hygiéniques au con des nouvelles-femmes, ces préfigurations de l'espèce sans péché toujours prêtes à essuyer leurs traces d'écume des nuits aux rideaux des vilains messieurs qui ont l'idée folle de les désirer. Et l'hygiène, c'est h'important !

Ah, les spécialistes… On les adore, ceux-là. Récemment, je suis tombé sur un exemplaire particulièrement coruscant de cette espèce de crétins en bande organisée qui sillonnent les réseaux sociaux en vue de dispenser leur savoir indispensable à la racaille planétaire, aux consommateurs-de-biens-culturels qu'ils entendent éclairer de leurs lumières ramassées au fond des poubelles de la culture. Ils savent tout sur rien et réciproquement, mais ils le savent bien et sont très généreux de ce savoir, qu'ils adorent partagerPartager est même un de leurs mots-fétiches. Partage-de-connaissances, partage-de-ressenti, partage-d'émotion, enfin on voit le genre… Et de nous expliquer très en détail en quoi les Beatles sont supérieurs aux Stones, ce qu'ils ont apporté, en quoi ils sont inventifsinnovants, quelle est l'essence de leur talent, ce qu'on trouve dans le double disque blanc, ce qu'il faut y chercher et n'y surtout pas chercher, la marque de dentifrice utilisé pendant les séances d'enregistrement, le nom de la maitresse du producteur, ou de l'arrangeur, le signe astrologique de l'attachée de presse, la descendance artistique du batteur, le génie mélodique du chanteur, le sens caché des paroles, les influences poétiques et musicales, la philosophie qui sous-tend leurs chansons, oui oui oui. On retrouve exactement les lubies et les tics des maniaco-cinéphiles, en plus bête, en plus déculturé. Je pourrais parler également des fans d'opéra, qui sont à peine moins pénibles. À peine. De toute façon, en règle générale, tout ce qui est « fan » est à vomir. 

Qu'est-ce qu'un morveux ? Un morveux, c'est quelqu'un qui lit un écrivain en lui faisant la leçon, en « lui apprenant des choses », ou, pire, en « dialoguant avec lui ». Les morveux ne lisent plus des livres, ils les commentent, ils les expliquent, ils les réfutent. Ils les récrivent, au besoin. Ce n'est pas si grave, puisqu'il n'y a plus d'écrivains et que les livres du passé ne sont plus que des pierres tombales mal fagotées que d'inventifs morveux prennent pour des Minitel plein de bugs et de toiles d'araignées. Un morveux, c'est un crétin à qui on a expliqué qu'il avait bien le droit d'être un crétin, que la crétinerie était un droit de l'homme, une singularité qu'il serait dommage de ne pas exploiter et que, surtout, il-ne-fallait-pas-en-avoir-honte ! Comme toutes les laideurs, comme toutes les tares, comme toutes les difformités, la crétinerie a fini de se cacher, elle doit s'exposer, se mettre en valeur, car la laideur et l'infirmité sont bien sûr des concepts de l'âge historique, c'est-à-dire des vieilleries indéchiffrables dont on se demande bien comment de pauvres humains qui n'étaient pas suffisamment câblés ont pu croire à cette fable écrite pour opprimer La Femme et les simples. Un morveux, c'est quelqu'un qui lit sans savoir lire, qui parle sans savoir parler, qui écrit sans savoir écrire, qui écoute sans entendre ou qui entend sans écouter, et qui fait de tout cela sa force, sa fierté, son talent