vendredi 2 août 2024

Nanouk consultée [journal]

Vendredi 2 août 2024, heure de la sieste.

« Le moment où je parle est déjà loin de moi. »

De plus en plus de gens prennent du Lexomil. Je ne sais pas si c'est fait exprès, mais le mot "lexomil" est très proche du mot "exil". [L'homme + exil.] Or, je suis persuadé que l'exil intérieur que nous ressentons tous est extrêmement angoissant.

Rien ne s'arrête jamais. Même pendant les Jeux olympiques, surtout pendant les jeux Olympiques, la saleté et la bêtise continuent de saper nos vies. Rien ne s'arrête jamais, même quand on est mort. 

Elle ne comprend rien parce qu'elle n'écoute pas. C'est aussi simple que ça. Mais les choses trop simples sont indicibles, comme chacun sait. Dites une chose simple et vous les verrez fuir en courant comme si vous les aviez maudits. 

J'ai écrit un petit texte assez rageur en réaction à la cérémonie des Jeux olympiques que je n'ai pas vue. Ça m'a défoulé ; un peu. Mais je n'ai pas été assez méchant. On n'est jamais assez méchant avec ces minables. Ma hargne a des hauts et des bas, et pas mal de bas depuis quelques années. Il faut dire aussi qu'on a toujours en arrière-plan l'idée de dévoiler ce qu'on écrit sur les réseaux sociaux, et que certaines choses ne peuvent pas s'y montrer. Je suis très peu lu, certes, mais il suffit d'une de ces sales bestioles de robots fureteurs pour être banni de la seule vitrine que je connaisse. C'est rageant de devoir concéder qu'on n'est pas aussi libre qu'on le voudrait. Et le premier con venu lèvera la main en croyant objecter : mais si vous n'avez pas vu la cérémonie, comment pouvez-vous en parler ? HEIN ? Objecte toujours, mon Coco, c'est pas toi qui nous feras débander.

Comme j'écris dans ce journal en écoutant le quatuor en mi mineur de Fauré, l'opus 121, je me sens légèrement discrépant vis à vis de moi-même, comme dirait Boulez. 

Le même schéma se répète avec toutes les femmes que je connais, à peu de choses près. Leur timidité les préserve, au commencement…

Ah, les amis… La page 42 du sixième tome d'Ultima Necat de Muray est terrible, à cet égard. Comme je confiais ma… Ma quoi ? Je ne sais même pas ce que je pense de cette « Nanouk », la femme de Muray, que je ne connais évidemment pas, mais vers laquelle mon intuition ne me porte guère, et je me suis attiré des réponses pour le moins étranges. Ce qui me déçoit énormément de la part de Muray, c'est son « D'ailleurs, Nanouk, consultée, me l'interdit formellement. » Muray demandant l'avis de Mamour pour savoir s'il doit rendre service à un ami, c'est tout de même… Bref. Je préfère me taire, même si l'on me peint « Nanouk » sous les traits les plus fermes et grandioses. Il faudrait écrire un opuscule intitulé : « Nanouk consultée ». Ça me fait penser à ce jeune compositeur très ambitieux auquel Renaud Camus avait souhaité publiquement un joyeux anniversaire, et qui avait demandé à ce dernier de retirer ses vœux. 

Dès les premières mesures, dès les premiers accords du quatuor à cordes de Ravel (après Fauré), toute mon enfance reprend ses quartiers dans mon corps. Mon corps d'enfant n'a jamais disparu. L'enfance ne disparaît jamais. Nous avons plusieurs corps à notre disposition, ou plutôt nous sommes à la disposition de plusieurs corps qui se chevauchent, qui s'enchâssent les uns dans les autres, dont aucun ne recouvre jamais totalement les autres. Ces empilements (c'est plus subtil qu'un empilement, naturellement) sont notre être, au moins autant sinon plus que notre âme. La vibration qui me parcourt en tout sens à l'écoute de ce quatuor est indicible, je ne peux la décrire, mais je la sens physiquement dans mes membres, sous ma peau, dans mes organes, dans le flux sanguin, dans mes cuisses, c'est une transpiration gazeuse qui soulève la mémoire (mais une mémoire sans objet), l'expose à la présence instantanée, en l'affectant d'un coefficient inquiétant et in(dé)chiffrable. L'impossibilité absolue de la partager avec quiconque me fonde plus que mon génome. C'est l'instituteur de ma morale, de la seule morale réelle. Terre lucide de l'impartageable. Toujours cette certitude que la musique est la plus radicale et la plus exigeante des solitudes. Personne ne peut vivre aux mêmes fréquences que nous, nos rythmes sont infréquentables. C'est le Quatuor Juilliard qui joue. Nul autre que lui ne peut accomplir le prodige. Je ne dis pas que leur interprétation est la meilleure, non, mais ils sont à l'origine, ils sont dans cette qualité de présence qui seule permet pour moi de revivre le miracle, presque à volonté, de déposer mes sens ici et maintenant, en confiance.

Il y en a que je fais rire, d'autres que je terrorise, d'autres encore qui me haïssent immédiatement et irrévocablement — et c'est bien naturel. L'antipathie devrait être le premier des Droits de l'homme. Ah oui, il y a aussi DB qui trouve que non seulement j'écris de la merde mais que j'en mange, aussi. Celui-là mérite un opuscule à lui tout seul. Ça viendra. Décibel, ça s'appellera.

Je ne sais pas si je fais bien de commencer un jeûne sec alors qu'il fait chaud comme jamais. La nuit dernière a été assez difficile. Plus de 32 ou 33° dans la chambre, sans un souffle d'air. Je n'avais pas été suffisamment prudent, avec les volets, dans la journée. Mais j'ai assez attendu l'été, le vrai, pour ne pas me plaindre. On ira jusqu'au bout de la soif !

L'histoire de la jeune boxeuse italienne qui a déclaré forfait après avoir pris deux ou trois gnons (46 secondes) de la part de son adversaire algérienne (ou algérien, tout est là) est merveilleuse et exemplaire. Je crois qu'on tient là l'image, la révélation, le « pot-au-rose » de ce que le féminisme a produit depuis toutes ces années : sa vérité. On arrive enfin au terme de cette immense blague à laquelle tout le monde feint de croire dur comme mère. En effet, si l'on pousse la logique des féministes jusqu'au bout, c'est bien à cela qu'on aboutit, très logiquement. On ne peut pas y échapper. Les féministes ne sont depuis vingt ans au moins que les agents plus ou moins conscients de ceux qui veulent abolir les sexes (et le sexe), comme on a aboli les races, les âges, les classes sociales, et toutes les autres frontières (pour les nations, c'est en cours, mais ça va vite). Mais très bien, Mesdames, très bien, vous voulez qu'on soit pareils, absolument pareils, alors prenez des gnons de la part des hommes, et sans moufter, s'il vous plaît. Elles ne veulent que les bons côtés de l'égalité, exactement de la même manière que les immigrés d'aujourd'hui ne veulent que les « bons côtés » du pays dans lequel ils s'installent. Cela dit, l'Italienne, là, je suis presque certain qu'elle avait préparé son coup assez malhonnêtement, parce qu'elle se savait moins forte. Ça lui offre une porte de sortie honorable, et ses larmes étaient assez crocodilesques, à mon avis. Mais peu importe. J'aurais fait pareil à sa place. On est de toute manière dans la Farce la plus farcesque, et sans se forcer. Macron adore ça, évidemment. Il est toujours aux premières loges, dès qu'il s'agit d'indistinction, de louchitude, il arrive la truffe en l'air comme un chien qu'on emmène à la chasse et qui pisse partout de plaisir.