J'aime le vent. Quand il souffle, et fort, comme aujourd'hui, une autre âme habite le monde. Nous ne sommes plus seuls. Des pans entiers de mon rêve me reviennent et passent en moi à toute vitesse. J'ai un corps multiple.
Isabelle était avec moi. Même si la femme de mon rêve n'avait pas son visage, c'était bien elle. Quelle aventure ! Des bijoux volés, un appartement parisien, des oreillettes qu'on nous enfonçait dans le tympan, un pistolet démonté au fond d'un sac, un ascenseur dans lequel je suis occupé à nous sauver, la merveille de la vie qui va, à toute vitesse, un air lumineux et frais, et des personnages qui sont ce qu'on peut imaginer de mieux — et français. Il y avait Patricio, aussi, et une adresse qu'on ne connaît pas. Des déplacements, des hésitations, des accélérations comme dans le jeu de Richter au piano. Nous étions jeunes, beaux, légers et vivants. Quelle aventure, que la vie !
Le vent c'est l'inconscient. C'est le rêve qui nous traverse, qui décolle le moi du moi, qui remet le temps à sa place, nettoie. La mort vient avec le vent et prend le visage de la vie. L'âme du monde ce n'est pas nous, ce n'est pas l'homme, c'est la grande Absence qui souffle et nous emporte là où personne ne pense.
Le ciel est bleu, les fleurs, partout, et les hérons garde-bœufs font cortège aux tracteurs. Les pylônes sont couchés dans les champs. Je passe sous les fils électriques en frémissant. Je suis seul et heureux. Une résurgence de l'année 1976 ?
Écoutons Ben Webster et Art Tatum. All the things you are, Gone with the wind, Night and day, My one and only love.