J'hallucine, comme disent les jeunes !
Une fille à tête de cul publie sa photo sur Facebook, qu'elle commente ainsi :
Physique : 6/10
Intellect et culture : 9/10
Caractère/personnalité : 8/10
J'en vois une autre qui chaque jour dépose des autoportraits d'elle, sans commentaires. Elle est souriante et n'est pas désagréable à regarder, certes, mais quel peut bien être l'intérêt de montrer son visage ainsi sur les réseaux sociaux… si ce n'est pour se proposer ? Pour mettre la viande à l'étalage ? Ça ne les dérange pas un tout petit peu, quand-même ? Mes contemporains sont devenus complètement fous, je ne vois que cette explication. La nourriture industrielle, peut-être ? À moins que ce ne soit un empoisonnement par les vaccins ? Ou l'eau du robinet ? N'ont-ils plus la moindre pudeur, la moindre lucidité, ne parlons même pas d'humilité ou de décence, encore moins de sagesse ? Intellect et culture : 9/10 ! Faut-il être complètement taré, tout de même, pour croire (et affirmer publiquement) une chose pareille ! Et je préfère ne rien dire de son jugement sur son caractère et sa personnalité ! Mais la personnalité… Nous y voilà ! C'est bien le nœud de l'affaire, en effet. Tous ils sont absolument satisfaits d'être ce qu'ils sont et ne s'imaginent pas autre une seconde, ou, s'ils l'imaginent, c'est du bout des lèvres, pour le principe, parce qu'il faut le dire — mais on voit bien qu'ils n'en pensent pas moins.
Ils ont de la personnalité, ils ont du caractère ! Ça oui, on ne peut pas en douter, en effet, et c'est bien ce qui nous poussera à les éviter tant que nous en aurons la force. Est-il encore possible de croiser un être humain normal, quelqu'un qui n'ait pas la personnalité et le caractère d'un Cyril Hanouna ou d'un Joey Starr ? On en doute.
Il y en a une autre, que je suis depuis longtemps, et qui est assez jolie et même sexy. Elle aussi dépose énormément de photos d'elle, toujours sous son meilleur aspect, souvent en compagnie de célébrités, et se fâche dès qu'un homme lui fait un compliment un peu trop direct. Mais pourquoi donc met-elle la marchandise en vitrine, alors ? Croit-elle qu'on va la complimenter sur son intellect, sa culture, sa glorieuse personnalité et son caractère angélique ? Mais que croient ces femmes ? Qu'elles sont tellement supérieures aux hommes qu'elles peuvent en toute impunité les prendre pour des imbéciles ?
Je voyais hier la couverture d'un roman écrit par un tout jeune écrivain, dont c'est le premier livre. L'éditeur a cru bon de gratifier ce livre d'un bandeau, avec photo et nom de l'auteur, comme si celui-ci nous était aussi connu que Marcel Proust ou Louis-Ferdinand Céline. Or, cet écrivain, personne ne le connaît (en tant qu'écrivain) — par définition, puisqu'il s'agit de son premier livre. Quelle peut bien être l'idée de l'éditeur (et de l'auteur qui a accepté cela) ? Il faut des années, et parfois des générations, pour qu'un nom s'impose, et ce qui impose le nom, c'est l'œuvre. Mais je devrais écrire "il fallait". Je n'y suis plus du tout. Je n'ai plus avec mon époque que des rapports si lointains et si lâches que plus rien de ce qui m'en parvient ne m'est compréhensible. Ce qui impose le nom, aujourd'hui, c'est le nom. Ce qui impose l'image, c'est l'image. Ce qui impose l'œuvre, c'est le culot de celui qui se prend pour son auteur. Image, nom, personnalité, caractère, moi, publicité, réseau, auto-jugement, soi-mêmisme, l'époque était mûre pour les attestations qu'on se fait à soi-même. Il y a trois ans, nous avons connu cette chose extraordinaire : nous signions au bas de bouts de papier imaginés par des déments grâce auxquels nous nous autorisions à sortir de chez nous pour aller acheter un kilo de patates, et nous tendions ces attestations à des gendarmes, sans que personne ne pouffe de rire, sans que personne ne se mette à hurler à la mort ! L'humanité est revenue au stade de l'enfance et personne ne semble s'en offusquer, ou même s'en apercevoir. Je dirais que je suis écrivain et que je m'autorise à m'autoriser à respirer. Et toi, à quoi joues-tu ? Pareil que toi mais en mieux. Eh bien jouons ensemble, alors ! Nous sommes beaux, nous sommes merveilleux, nous sommes NOUS !
Ils veulent le nom, ils veulent l'image, ils veulent la gloire, la “visibilité”, la renommée, dès qu'ils ont fait trois ronds dans l'eau, et souvent beaucoup moins. Comme les enfants qui interpellent leur mère : REGARDE ! T'AS VU ? en se dandinant entre deux pâtés. Tu m'as vu ? Autrefois, on appelait ça des m'as-tu-vu.