La baignoire et l'automobile sont des véhicules qui se rencontrent rarement sans dommages.
Je ne suis pas le poète que je voulais être. Je ne suis pas le musicien que je voulais être. Je ne suis pas l'homme que j'aurais voulu être. Je ne vis pas dans le monde que j'aurais voulu habiter. Je n'ai pas le visage ni le corps ni les mains ni la mémoire que j'aurais voulu avoir. Je n'ai pas la famille que j'aurais voulu avoir. Et pourtant je ne voudrais surtout rien changer à ma vie.
Tout a commencé par les puces des chiens. Il faut aimer, boire et chanter. Je ne suis pas fou de cette marmelade. Être loin de chez soi, quelle souffrance ! Mais être chez les siens, c'est pire que tout ! Je veux bien écrire, mais le désir me vient de n’écrire rien, de n’exprimer rien, de ne raconter rien, de n’exposer aucune opinion, de ne donner aucune information. Les femmes ne veulent pas montrer leurs seins car elles pensent en être propriétaires. Peu d'hommes osent les détromper car alors leur plaisir à les voir en serait amoindri.
J'ai encore du texte, tu sais ! J'aimerais mieux m'en passer que de bouffer ça. Plutôt mort que sympa. Je suis passé brutalement du quintette pour clarinette de Brahms à Miles Davis. Le jazz m'aura sauvé bien des fois. Tu ne m'as pas laissé le temps de le dire. Ce serait possible, que tu écoutes ce qu'on te dit, parfois ?
Je marquais un temps. Marquer un temps, tu comprends ? La baignoire et l'automobile ! Il faut marquer un temps, pour voir les seins des femmes. C'est dans la brochure. Je veux bien écrire, mais écrire ne fait pas de moi le poète et le musicien que j'aurais voulu être. Écoute ce qu'on te dit ! Écoute ce que j'écris ! J'aurais voulu aimer, boire et chanter. J'aurais voulu ne jamais connaître Emmanuel Macron.
Tout est raté. Je le pense vraiment. Tout est raté, à commencer par ma vie, ma vie de merde, mais je ne voudrais surtout pas en avoir eu une autre. Je marque un temps. Un temps dans ma vie de merde. Victor Hugo a écrit L'Homme qui rit. Il ne me reste plus qu'à écrire "jaune". Mais j'ai eu raison de rater ma vie ; c'est ma seule réussite incontestable. J'ai eu raison d'aimer celle qui ne m'aime pas. Rater, c'est l'ambition suprême. J'aime mieux écouter Beethoven que d'être Beethoven. Je marque un temps. Pourquoi ai-je accepté de jouer ce rôle ? Le jazz m'a sauvé bien des fois. Il faut aimer boire et chanter. Moi non plus. Je saute une réplique sur deux, je coupe les répliques des autres, je marque un temps. Je veux bien écrire, mais si personne n'écoute, je ris jaune. À la rigueur, je veux bien Giscard d'Estaing, mais après, non, non et non ! La baignoire et l'automobile, je ris jaune, même en marquant un temps. C'est dans la brochure. Je vais aller faire mon sac, mais je n'ai pas envie de partir. Rester ici est ma seule ambition. Être loin de chez soi, quelle souffrance ! Un grand lit ? Pour quoi faire ? La baignoire, oui, mais l'automobile, non. Je n'aurais donc jamais été sympa ?
J'étais sur la plage de La Baule, en compagnie de Christel. Nous marchions dans l'eau. C'était agréable. Je marque un temps, cependant. Pourquoi ai-je accepté de jouer ce rôle ? J'ai du linge sale dans ce sac en plastique. Trois chambres. Le chat s'appelle Mozart. Il est très antipathique. Il roule dans une grosse voiture électrique qui accélère très fort. Il faut qu'on lui organise une fête à tout casser. Il faut marquer le coup, et le temps. Ceux qui travaillent peuvent se dire, de temps à autre : aujourd'hui je ne fais rien. C'est un bonheur que je ne connais pas. Écoute ce que j'écris ! C'est ma seule réussite incontestable. Ne donner aucune information, ne pas leur donner ce qu'ils attendent — j'ai du linge sale dans ce sac en plastique, oh combien !
Salopard ! Elle a quatre-vingt-seize ans, on peut envoyer la petite musique ! Lacan, Sagan, Bataille, Borges, elle les a connus, la jeune momie à la grande bouche. Arrivait-on à un passage sublime, il ne manquait jamais de lancer ses souliers derrière lui sur les spectateurs. Et pourtant je ne voudrais surtout rien changer à ma vie. « Bonjour, Monsieur, je suis Isabelle Larmat. Je me suis égarée. Pouvez-vous me raccompagner chez moi ? » Il faut aimer boire et chanter. J'ai vu à Bologne le plus avare des hommes jeter ses écus à terre, et faire une mine de possédé, quand la musique lui plaisait au plus haut degré. Salopard ! Aujourd'hui, je ne fais rien. Je marque un temps. Je suis venue ici vivre avec toi trop vite. On aurait dû attendre.
Elle n'aurait pas pu attendre. La chienne s'appelait Luna. Elle était très sympathique. Je saute une réplique sur deux. « Putain ! Quelle merde de putain de merde ! » La plage de La Baule est très belle, à condition de ne jamais se retourner, et de ne pas voir trop loin. Je ne suis pas le poète que je voudrais être. Le jazz m'a sauvé bien des fois. Mais il est quelle heure, à la fin ? Il faut marquer le coup, car être chez les siens, c'est pire que tout. Marquons un temps, voulez-vous ? Sur la plage, les femmes ne montrent plus leurs seins. C'est dans la brochure. En revanche, on aperçoit des éoliennes, au loin. Les éoliennes méditent, au loin. Et nous les regardons méditer, à défaut de regarder les seins des femmes. En mai, fais ce qu'il te plaît. Nous avons donc mangé des asperges vertes sautées au beurre. Elle est égarée, sublime, elle jette son regard à travers le pare-brise ; l'écrire ne fait pas de moi le poète et le musicien que j'aurais voulu être. Je plonge mon visage dans son linge. Salopard ! J'ai désappris à dormir et j'ai appris à rêver. Rater, c'est l'ambition suprême. Il ne le comprend pas du tout. Je ris jaune, mais elle aussi, eux aussi. Je ne me suis pas baigné dans le Bandiat. Je ne veux rien changer à ma vie. Va lui faire comprendre ça… Tout le monde rit jaune. Et les éoliennes, au loin, ne disent rien. Le monde change, le monde a changé, et tout le monde rit jaune. Il m'a montré les maisons de tous les milliardaires. Combien ça coûte ? Je ne suis pas l'homme que j'aurais voulu être. Mais je ne vais pas répondre à un interrogatoire. Vous ne saurez rien de plus. Il faut aimer, boire et chanter.
Ils se sont donc fait vacciner pour avoir le droit de prendre des avions dont les pilotes vaccinés meurent de crises cardiaques. Et vous voudriez changer le monde ? Aucun auteur n'aurait assez d'humour pour inventer une histoire pareille, c'est moi qui vous le dis. Jetons nos souliers par-dessus nos têtes en écoutant Beethoven ! Salopard ! Il faut marquer un temps. Il était fort doux et fort poli ; mais quand il se trouvait à un concert, et que la musique lui plaisait à un certain point, il ôtait ses souliers sans s’en apercevoir. Qu'ils viennent donc piquer un dolmen, ces fumiers ! Pourquoi Georges ? Salopard !
Je ne suis pas le poète que je voulais être, je ne suis pas le musicien que je voulais être, je ne suis pas l'homme que j'aurais voulu être, je ne vis pas dans le monde que j'aurais voulu habiter, je n'ai pas le visage ni le corps ni les mains ni la mémoire que j'aurais voulu avoir, je n'ai pas la famille que j'aurais voulu avoir, et pourtant je ne voudrais surtout rien changer à ma vie. Ce serait possible, que tu écoutes ce qu'on te dit, parfois ? Tout est raté.