J'aime le mot "chatte". En réalité j'aime tous les mots qui désignent le sexe féminin, et j'aime bien en changer. Mais je reviens constamment au plus beau de tous, le "con". Le plus beau, le plus court, le plus affolant, le plus littéraire aussi. Longtemps j'ai méprisé "chatte", justement parce que tout le monde l'employait, et que plus personne ne semblait connaître le "vrai" nom ("le con"). Mais j'y suis revenu (à "chatte"), avec même un grand enthousiasme.
De tous les mots qu'on emploie pour parler de ça, il faut toujours privilégier celui qui nous trouble le plus. C'est du moins ma politique.
Le chatte, le con, la vulve, c'est un peu comme Dieu, cette chose a tellement de noms qu'on n'en finirait jamais de les énumérer. Ce n'est évidemment pas un hasard : c'est le lieu de la Disparition. On y tombe, on y sombre, on y disparaît, on y laisse notre peau. C'est le gouffre du sens.
(J'ai regardé votre sexe attentivement, tout à l'heure. Quel dommage que vous tailliez si méchamment votre buisson ! Laissez-le respirer ! Laissez-le vivre ! Laissez-le vous parler. Un peu de mystère, un peu de fantaisie, un peu de folie, pitié !) Laissez le monde derrière vous.
"Vulve" est sans doute le mot le plus dégoulinant, dans ses sonorités. Mais je l'aime beaucoup justement pour cette raison. Le souffle semble couler à travers lui, et ce "lv" m'enchante : on entend l'air expulsé de la bouche, torsadé. Et puis ça fait penser aux champignons (la volve). On parle toujours de l'odeur de poisson du sexe féminin, mais on oublie toujours de parler de l'odeur de champignon. Et ces deux "V" qui parlent si bien du pubis…
Mais con, c'est aussi le cône. Le sexe féminin est un entonnoir (un diaphragme). Le sperme et le désir s'y précipitent, s'y concentrent. Le con est l'enveloppe du vagin. Le vagin est un réceptacle, il amène la substance multiple et disparate vers un point unique et minuscule d'où va repartir une autre substance, en sens inverse.
Il n'y a aucun hasard, dans la langue. C'est impossible. Le "U" de la vulve se retrouve (redoublé) dans l'UtérUs. Les "V" de vulve se sont arrondis en "U". Ces deux lettres forment le participe passé "VU". Tout ce qui n'est pas vu, justement (le sexe féminin, contrairement au sexe masculin, est caché, interne), est résumé par ce "VU" de la vulve. Vu/pas vu. Vulve/Vagin/Utérus. Le cône fait con-verger la matière vers l'utérus, l'information vers la vie.
Plus que tout autre chose, le corps humain peut et doit être examiné grâce à la langue. Passez votre langue sur toutes les parties du corps de votre ami/e. Sachez comprendre, entendre, faire rouler vos sens en tous sens. Goûter le corps de l'autre avec votre langue, parlez-le, apprenez à vous exprimer dans son dialecte charnel. Nul besoin d'appareil sophistiqué, nul besoin d'ordinateur, de machine, pour cela : vos oreilles et votre bouche suffisent. En échange, le corps de votre ami/e vous donnera une meilleure langue, une langue plus sensible, plus personnelle, plus fine, mieux connectée aux objets et aux êtres. Il n'y a pas de sexe (et de plaisir) sans langue, il n'y pas de caresse sans phrase. La caresse et le langage sont de même nature, la main et le logos sont enchaînés, à l'intérieur d'une poche d'ombre dans laquelle l'homme se perd. C'est bien le sens, qui se perd là, sinon la raison.