vendredi 5 mars 2021

Brute

Ce matin j'ai vu mes yeux me voir. Vraiment. Une pareille chose ne m'était jamais arrivée. Ou alors j'ai oublié. Ensuite j'ai regardé deux photographies ; deux photographies de la même femme, à quarante ans d'intervalle (ou peut-être seulement trente). La brutalité de la chose m'a fait mal. Je me suis demandé alors comment Isabelle (c'est un exemple) avait fait pour échapper à cette brutalité. Ce qui m'a amené à penser à Ophélie, Ophélie que j'ai imaginée à l'âge de cinquante ans. Mais la pensée d'Ophélie m'a éloigné immédiatement de ces questions, et j'ai pensé alors que je ne comprenais pas qu'elle ne veuille pas que je l'aime. Qu'elle ne veuille pas m'aimer, cela je peux le comprendre facilement, mais pourquoi ne voudrait-elle pas être aimée de moi ? « Tu nous a trahis, salope ! » m'est revenu en mémoire, et j'ai repensé à mon regard sur moi-même, hier, quand je me suis vu dans le miroir, et que j'ai vu une pauvre vieille chose très féminine, très attristante, et pour ainsi dire pitoyable. La brutalité du gène a quelque chose de terrifiant. Il nous frappe comme de coups de marteau sur le visage, on voit la trace des coups, les bosses, les creux, les marques, on voit que ça remue dans la chair, comme si nous avions avalé un être vivant. Tout est abîmé, déformé, cabossé, maquillé pute ou dément. On voit le hurlement à l'intérieur. Le hurlement familial.