Longtemps je n'y ai pas prêté attention. Mon père avait quelques lubies, comme tout le monde. π était l'une d'elles. Pourquoi un nombre, pourquoi ce nombre ? C'est plus qu'un innocent folklore familial. π, c'est une clef. Une des clefs que le monde nous fournit pour le déchiffrer, c'est-à-dire nous voir nous-mêmes comme participant au Mystère.
La vie nous offre quelques clefs. Des clefs privées et des clefs publiques. Les clefs privées nous sont données par les parents, par la famille, par les amis et les rencontres, les clefs publiques nous sont transmises par l'instruction, la science, la philosophie, et la littérature. La langue, autre obsession du père, est une de ces clefs – c'est même la clefs des clefs ; elle est à la fois privée et publique.
Le nombre Pi ne permet peut-être pas d'élucider les disputes amoureuses, les conflits familiaux, ou professionnels, ni de gagner au Loto, mais calculer la surface d'un cercle autrement que par approximations successives, ce n'est pas rien. Ce n'est pas un hasard si l'on parle de la quadrature du cercle. Si l'on pouvait mettre bout à bout tout ce que ce nombre a permis de comprendre, de construire, de mesurer, de vérifier et de faire fonctionner, on ferait plusieurs fois le tour de la Terre en descriptions, en explications et en commentaires. Ce nombre, qui a obsédé des générations et des générations de savants, se retrouve partout, non seulement dans les mathématiques, mais dans bien d'autres disciplines. Un nombre qui permet de passer d'un segment de droite à une circonférence ou à une surface à un seul côté n'est pas seulement un nombre, c'est une loi de l'univers, c'est un des doigts de Dieu. Comme par hasard, la suite de ses décimales est infinie, comme s'il voulait nous laisser entendre que quelque chose ici nous dépasse et nous dépassera toujours. Mais, malgré sa formidable complexité, ce nombre est efficace même quand on le réduit à sa plus simple expression : 3,14 suffit, dans la majorité des cas.
La sarabande de la cinquième suite pour violoncelle de Bach est une autre de ces clefs. Comment ne pas être sidéré par la suffocante beauté de cette musique, par sa perfection hiératique et son âpre simplicité. Bach a retranché de la matière sonore tout ce qui n'était pas absolument nécessaire. Le chemin est escarpé. Harmonie, mélodie ? Ni l'une ni l'autre. Seulement un chant au bord du gouffre, un pas après l'autre. Miracle. Grâce à quelques très simples notes de violoncelle, l'homme peut atteindre des sommets insoupçonnables : Il a vue sur le monde, depuis un endroit interdit.
Il y a une intelligence du monde qui se manifeste autant dans un nombre que dans une partition ; elle peut aussi se manifester dans une phrase, dans un geste, dans une odeur, dans un visage, et même dans un sanglot. Des π, il y en a sans doute bien d'autres. Ils sont sur notre route, confidences et cailloux semés par le divin – ou le hasard. Ce sont des fenêtres à travers lesquelles on voit un tout autre paysage. On peut les appeler constantes : même quand tout se dérègle autour de nous, ces points de vue nous laissent apercevoir la mécanique céleste – ou la culotte de la fille assise en face de nous, dans le bus.
Le chemin est escarpé… Mais je vous jure que ça ne pourrait pas être mieux que ça. Vous vous figurez peut-être que vous auriez pu avoir une vie meilleure que celle que vous avez ? Regardez-vous. Avec si peu d'atouts, c'est déjà bien comme ça. Vous auriez pu gagner plus d'argent, sortir avec des filles plus belles, partir plus souvent en vacances et rouler dans de plus belles voitures, oui, vous auriez pu avoir un lave-linge Miele au lieu d'une machine à laver Laden, vous auriez pu avoir un forfait illimité sur votre iPhone au lieu du forfait Free à deux euros, mais même pour seulement avoir une clim réversible il aurait fallu faire tellement d'efforts et de concessions que la vie ne vous semblerait pas plus belle que cette merde dans laquelle vous vous traînez jour après jour comme un rat de laboratoire. Réfléchissez un peu. Peut-être même qu'il vous aurait fallu danser ! J'en ai fait, des choses humiliantes et dégradantes, dans ma vie, mais, danser, jamais. Croyez-moi, s'il faut s'en tenir au plan A, ce n'est pas parce que le plan B n'est pas meilleur, c'est parce qu'il n'existe pas. Et ne venez pas me bassiner avec votre liberté, ne vous faites pas plus bêtes que vous n'êtes. Il n'y a pas besoin de sept ans de réflexion pour comprendre que le seul libre-arbitre qui soit, c'est celui qui est aux chiottes. Vous pensez peut-être que Jean-Sébastien Bach a eu le choix, qu'il s'est réveillé un beau matin en se disant : je vais être un compositeur génial ? S'il avait eu le choix, Bach aurait peut-être choisi de jouer au football et de rouler en Ferrari, au lieu de donner des cours de clavecin et de composer une cantate par semaine. Jean-Sébastien est tombé sur son nombre π parce qu'on le lui a mis sur sa route. Après ça, les choses se sont faites toutes seules. Vous ne me croyez pas ? Prenez Christine Angot, par exemple. Vous pensez vraiment que si elle avait eu le choix, elle aurait décidé d'être Christine Angot, l'écrivaine Christine Angot, de sortir avec Doc Gynéco, tout ça ? Que le chemin soit escarpé ne signifie pas que c'est vous qui le créez. D'ailleurs ça ne signifie rien du tout. C'est seulement une image, une figure de style. Le tout est de faire souffrir suffisamment de gens autour de vous : c'est comme ça qu'on écrit sa vie, qu'on laisse une trace. C'est le signe du scorpion. Nous avons tous un scorpion en nous, le tout est de lui faire une place. C'est le scorpion en nous qui nous indique le chemin, qui nous raconte l'histoire. J'aurais pu, vous auriez pu, être Marc Dutroux ou Jean-Sébastien Bach, Albert Duspasme ou le capitaine Haddock, sauf que nous arrivons trop tard, toujours, que les rôles qui nous intéressent sont déjà pris, et que notre nombre π personnel n'a pas la tête de l'emploi – parce que nous n'avons aucune imagination.
Il y a une intelligence du monde qui se manifeste autant dans un nombre que dans une partition ; elle peut aussi se manifester dans une phrase, dans un geste, dans une odeur, dans un visage, et même dans un sanglot. Des π, il y en a sans doute bien d'autres. Ils sont sur notre route, confidences et cailloux semés par le divin – ou le hasard. Ce sont des fenêtres à travers lesquelles on voit un tout autre paysage. On peut les appeler constantes : même quand tout se dérègle autour de nous, ces points de vue nous laissent apercevoir la mécanique céleste – ou la culotte de la fille assise en face de nous, dans le bus.
Le chemin est escarpé… Mais je vous jure que ça ne pourrait pas être mieux que ça. Vous vous figurez peut-être que vous auriez pu avoir une vie meilleure que celle que vous avez ? Regardez-vous. Avec si peu d'atouts, c'est déjà bien comme ça. Vous auriez pu gagner plus d'argent, sortir avec des filles plus belles, partir plus souvent en vacances et rouler dans de plus belles voitures, oui, vous auriez pu avoir un lave-linge Miele au lieu d'une machine à laver Laden, vous auriez pu avoir un forfait illimité sur votre iPhone au lieu du forfait Free à deux euros, mais même pour seulement avoir une clim réversible il aurait fallu faire tellement d'efforts et de concessions que la vie ne vous semblerait pas plus belle que cette merde dans laquelle vous vous traînez jour après jour comme un rat de laboratoire. Réfléchissez un peu. Peut-être même qu'il vous aurait fallu danser ! J'en ai fait, des choses humiliantes et dégradantes, dans ma vie, mais, danser, jamais. Croyez-moi, s'il faut s'en tenir au plan A, ce n'est pas parce que le plan B n'est pas meilleur, c'est parce qu'il n'existe pas. Et ne venez pas me bassiner avec votre liberté, ne vous faites pas plus bêtes que vous n'êtes. Il n'y a pas besoin de sept ans de réflexion pour comprendre que le seul libre-arbitre qui soit, c'est celui qui est aux chiottes. Vous pensez peut-être que Jean-Sébastien Bach a eu le choix, qu'il s'est réveillé un beau matin en se disant : je vais être un compositeur génial ? S'il avait eu le choix, Bach aurait peut-être choisi de jouer au football et de rouler en Ferrari, au lieu de donner des cours de clavecin et de composer une cantate par semaine. Jean-Sébastien est tombé sur son nombre π parce qu'on le lui a mis sur sa route. Après ça, les choses se sont faites toutes seules. Vous ne me croyez pas ? Prenez Christine Angot, par exemple. Vous pensez vraiment que si elle avait eu le choix, elle aurait décidé d'être Christine Angot, l'écrivaine Christine Angot, de sortir avec Doc Gynéco, tout ça ? Que le chemin soit escarpé ne signifie pas que c'est vous qui le créez. D'ailleurs ça ne signifie rien du tout. C'est seulement une image, une figure de style. Le tout est de faire souffrir suffisamment de gens autour de vous : c'est comme ça qu'on écrit sa vie, qu'on laisse une trace. C'est le signe du scorpion. Nous avons tous un scorpion en nous, le tout est de lui faire une place. C'est le scorpion en nous qui nous indique le chemin, qui nous raconte l'histoire. J'aurais pu, vous auriez pu, être Marc Dutroux ou Jean-Sébastien Bach, Albert Duspasme ou le capitaine Haddock, sauf que nous arrivons trop tard, toujours, que les rôles qui nous intéressent sont déjà pris, et que notre nombre π personnel n'a pas la tête de l'emploi – parce que nous n'avons aucune imagination.