Il fait chaud, c'est l'été. L'air brûle, autour d'eux et en eux. Les objets se taisent. Tout est arrêté. Jérôme avait deux ans quand il est mort, Boris vingt-neuf. Mort, vous savez ce que ça signifie ?
Elle me fait fondre en larmes. Malgré la marche turque, c'est ma sonate préférée. Le thème de l'andante est sans doute la chose la plus bouleversante que je connaisse dans toute la musique.
Le 7 mai, je suis tombé dessus par hasard, et je n'ai pas eu envie d'écouter la Tribune des critiques de disques qui traitait de cette sonate. J'ai donc éteint la radio. Comment aurai-je pu me douter qu'il allait mourir à ce moment-là, le jour où la France…
Mozart avait composé cette sonate à Paris, alors que sa mère venait de mourir. Il avait vingt-deux ans. Mon père la joue à ma mère alors qu'ils viennent de perdre leur enfant. En rentrant du cimetière, il se met au piano, et joue le premier mouvement. Je les imagine, au salon, le vieil Erard, le chien, le buste noir de Beethoven, et le pastel de Mozart au-dessus du piano, l'odeur de tabac dans le grand pot de bois, épais et profond. Les autres, où étaient-ils ? Je suis devenu musicien ce jour-là, par fidélité à cette impossible absence. Est-ce qu'il pleure ? Est-ce que Maman reste là, assise, est-ce qu'elle va se coucher, est-ce qu'elle prépare une boisson ? Est-ce que la pensée du suicide la traverse ? Est-ce qu'il lui prend la main, est-ce qu'elle vient s'asseoir près de lui, au piano ? Non, bien sûr, elle est déjà en train de s'occuper du jumeau, Emmanuel, le survivant, et de préparer les trois autres pour le bain. Jérôme est dans son petit cercueil blanc, il est resté seul, là-bas au cimetière, près du chemin de fer. Si beau…
Au téléphone, elle me dit, dans un sanglot : « Même pas… vingt-neuf ans ! ». Pourquoi jouer Mozart dans un moment pareil ? C'est une berceuse. Il faut consoler, bien sûr, mais consoler qui ?
Elle me fait fondre en larmes. Malgré la marche turque, c'est ma sonate préférée. Le thème de l'andante est sans doute la chose la plus bouleversante que je connaisse dans toute la musique.
Le 7 mai, je suis tombé dessus par hasard, et je n'ai pas eu envie d'écouter la Tribune des critiques de disques qui traitait de cette sonate. J'ai donc éteint la radio. Comment aurai-je pu me douter qu'il allait mourir à ce moment-là, le jour où la France…
Mozart avait composé cette sonate à Paris, alors que sa mère venait de mourir. Il avait vingt-deux ans. Mon père la joue à ma mère alors qu'ils viennent de perdre leur enfant. En rentrant du cimetière, il se met au piano, et joue le premier mouvement. Je les imagine, au salon, le vieil Erard, le chien, le buste noir de Beethoven, et le pastel de Mozart au-dessus du piano, l'odeur de tabac dans le grand pot de bois, épais et profond. Les autres, où étaient-ils ? Je suis devenu musicien ce jour-là, par fidélité à cette impossible absence. Est-ce qu'il pleure ? Est-ce que Maman reste là, assise, est-ce qu'elle va se coucher, est-ce qu'elle prépare une boisson ? Est-ce que la pensée du suicide la traverse ? Est-ce qu'il lui prend la main, est-ce qu'elle vient s'asseoir près de lui, au piano ? Non, bien sûr, elle est déjà en train de s'occuper du jumeau, Emmanuel, le survivant, et de préparer les trois autres pour le bain. Jérôme est dans son petit cercueil blanc, il est resté seul, là-bas au cimetière, près du chemin de fer. Si beau…
Au téléphone, elle me dit, dans un sanglot : « Même pas… vingt-neuf ans ! ». Pourquoi jouer Mozart dans un moment pareil ? C'est une berceuse. Il faut consoler, bien sûr, mais consoler qui ?