lundi 30 juillet 2018

À votre bonne santé, jobards !



Aujourd'hui, je me contenterai de recopier cette page toute récente du journal de Renaud Camus, qui me paraît essentielle.

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Plieux, dimanche 29 juillet 2018, minuit. Pierre attire mon attention sur un texte de Bernanos, “L’émancipation par le crématoire”, paru dans L’Intransigeant du 9 mars 1948, et recueilli dans Français, si vous saviez (Pléiade, Essais et écrits de combat, t. II, pp. 1209-1210). En effet, cet article est très étroitement en liaison avec mes préoccupations. Je le recopie ici, en entier pour la bonne compréhension, mais en mettant en italique ce qui paraît se rapporter le plus exactement à mes vues sur le remplacisme global et la Matière Humaine Indifférenciée (et aussi sur l’inscription de l’univers concentrationnaire dans l’ensemble du mécanisme) :

« Avant de quitter son poste de chef d’état-major de l’armée américaine, le général Eisenhower vient de fournir au Congrès un rapport final qui est une sorte de testament militaire. On y lit :

« “Nous nous trouvons chaque jour plus exposés aux armes offensives qui seront engagées dans les guerres futures. Des millions de citadins se verront condamnées à mourrir de faim en quelques semaines si le système de transports était désorganisé… Une attaque contre quelques centres d’industrie lourde suffirait à disloquer notre vie nationale… ”

« Telle est donc l’espèce de sécurité que donne la civilisation moderne, ou du moins ce qu’il est convenu d’appeler de ce nom ; et qui n’est que l’absorption de toute la civilisation humaine par la Technique. Les moyens de détruire se perfectionnent tous les jours, et le monde moderne, dans sa prodigieuse inconscience, se fait de plus en plus vulnérable. C’est qu’il ne veut connaître, en effet, que la Technique, et la Technique ne connaît que le rendement. Puisque la concentration est favorable au rendement, le monde moderne, bon gré mal gré, sera concentrationnaire. Il ne saurait être question, pour lui, de sacrifier le rendement de la Machinerie à la sécurité des hommes, car la valeur de la machinerie ne cesse de croître, au lieu que celle du Matériel humain s’avilit.

« On voit dès lors ce que signifie réellement dans la bouche des gens de gauche, et dans celle de leurs parasites démocrates-chrétiens, plus méprisables encore, le mot d’émancipation des masses. Prétendre qu’un monde concentrationnaire sera favorable aux masses est une énorme bouffonnerie. Pour la Technique, en effet, le déplacement de millions de tonnes de terre ou l’anéantissement de millions de vies humaines sont de problèmes également faciles à résoudre. Jouissez donc de votre reste, imbéciles ! Fourrez-vous-en des grèves jusque-là, idiots ! Vous vous glorifiez naïvement du nom de travailleurs. Mais tout le gigantesque effort de la civilisation moderne n’a précisément qu’un but : réussir finalement à se passer de votre travail, pauvres jobards !

« Lorsqu’en certains points de la planète, judicieusement choisis pour la construction d’immenses centrales d’énergie, quelques milliers d’hommes spécialisés suffiront à contrôler tout le mécanisme de la gigantesque usine universelle, vous aurez fini de rigoler, vieux frères.

« Trente millions de travailleurs, ça fera tout juste deux millions de tonnes d’os et de viandes, sans compter le poil ; on vous liquidera au poids, citoyens. Et comme les chimistes, en ce temps-là auront depuis longtemps trouvé la formule d’aliments synthétiques, on ne vous fera même pas l’honneur de vous mettre en conserves. L’émancipations des masses s’achèvera dans les crématoires électriques.

« À votre bonne santé, camarades ! »

Voilà qui rappelle singulièrement, ou plutôt qui annonce, bien entendu, ma formule selon laquelle le remplacisme global ce sont Les Temps modernes, plus Métropolis, plus Soleil Vert ; et qui éclaire d’un jour inédit ma “querelle” avec Finkielkraut sur la place de l’univers concentrationnaire nazi dans le concentrationnisme global, qu’il veut unique et que j’estime centrale.