mardi 30 novembre 2010

Pouvoir la sentir


CINQ QUESTIONS A HERVE MATHIEU
Il y a de l’érotisme dans la parfumerie ?
On appelle "mouillette" la langue de papier neutre qui permet de sentir les parfums…
Les parfumeurs s'intéressent-ils aux odeurs naturelles du corps humain liées à la sexualité ?
Oui, les parfumeurs s’y intéressent, comme à tout ce qui est odorant. Il y a des notes «honteuses» dans les parfums, notamment dans ceux pour hommes! On utilise depuis longtemps la civette -une odeur fécale, donc– pour leur donner de la puissance, de la persistance, une idéniable animalité. Mais cela ne se fait pas (encore) de façon ouverte, sauf par Etienne de Swardt, qui a créé la marque Etat Libre d’Orange qui explore le domaine de la sexualité avec des parfums qui portent des noms comme «Putain des Palaces» ou «Sécrétions Magnifiques». Mais à mon grand regret, les parfums eux-même restent très (trop ?) sages…

Quels sont –à votre avis- les parfums les plus sexuels du moment ?
Pour moi, il y a deux parfums qui portent en eux une odeur très sexuelle: le premier, c’est Femme, un grand parfum de Rochas créé par Edmond Roudnitska en 1943. Son cœur est très classique, un accord ylang-ylang et jasmin, mais pour je ne sais quelle raison il est moiré d’une odeur épicée extrêmement sexuelle, que je trouve très explicite, voire troublante. Je crois qu’une femme qui porterait ça serait capable de me faire la suivre au bout du monde.
L’autre exemple est moins heureux selon moi: c’est CK Be. Ce parfum de Calvin Klein a pour moi une odeur de sexe mal lavé, avec une facette de savon qui a séché que je trouve vulgaire… Sinon je laisserai dans l’anonymat ce patron d’une maison de Couture qui a un jour dit à ses parfumeurs «Faites-moi un parfum de pute»! Le parfum a été le plus grand succès commercial de la marque…


Serait-il possible de reconstituer l'odeur qu'on a après avoir fait l'amour (ou pendant) ?
Là, c’est quelque chose qui m’intéresse énormément. Le rapport aux odeurs corporelles est quelque chose de complexe, de changeant, de très subjectif. Une odeur sexuelle brute, livrée telle quelle, peut être vécue comme désagréable, agressive, synonyme de saleté. Quand c’est l’odeur du sexe que quelqu’un qu’on désire, c’est une odeur suave, peut-être la plus belle du monde. De la même façon, on peut en arriver à aimer, voire à être excité par les odeurs de transpiration de l’autre.

Comment reproduire une odeur corporelle ?
Quand on imprime une photo, c’est la multitude de points de couleurs minuscules qui finit par constituer une image. En parfumerie, c’est la même chose, du moins en théorie: on reproduit chaque élément qui compose une odeur jusqu’à la restituer dans sa totalité. Dans les faits, on s’approche souvent d’une odeur sans toujours parvenir à l’identique. Il va, régulièrement, manquer une petite part de «magie», quelque chose qui échappe à la brutalité de la technique. Ne serait-ce que parce qu’on ne reproduit jamais 100% des molécules mais qu’on va se concentrer sur les plus significatives.