mardi 12 octobre 2021

Le bon pavillon

Ça n'ira jamais. Il y aura trop de ceci, pas assez de cela, il y aura cette mesure ou cette absence de mesure qui rendra le reste, tout le reste, décevant, insupportable, inepte, scandaleux, ou seulement impropre à la consommation électorale. Les Français sont désespérants. Ce sont des affamés qui deviennent subitement anorexiques quand le plat de résistance arrive dans l'assiette. Trop de sucre, pas assez de viande, pas assez cuit, trop salé. Ils voudraient être d'accord à 150% avec le programme du non-candidat Zemmour : à moins de 100%, ils n'y vont pas. Ce serait leur faire un trop affreux affront que d'exiger ça d'eux. Ils sont très pointilleux, soudain, alors que durant des années ils ont appelé un peu n'importe qui au secours, jusqu'à se jeter dans les bras d'un dameret bien coiffé. Le peuple français est une nymphomane qui a la migraine le soir où un amant enfin se déclare. Comme le gazouille Renaud Camus : « La droite fait penser à ces réfugiés naufragés qui refusaient un bateau de secours parce qu’il n'arborait pas le bon pavillon. »

Zemmour n'a qu'un seul pavillon, à ce que je sache, et ce pavillon est tricolore. Ce n'est pas un homme de parti (tant mieux !), ce n'est pas un homme politique (tant mieux !), il n'est pas inculte, comme le sont 99% de ceux qui prétendent gouverner notre pays, il n'a pas de plan de carrière, il n'a peur de rien, et surtout, ce point est évidemment capital, il place sa campagne sous le signe du Grand Remplacement ! Dix ans qu'on entend tout le monde se plaindre que ce sujet n'est jamais abordé, que personne n'ose seulement l'évoquer, dire très explicitement que tout le reste est subordonné à cette question. Zemmour, lui, ne craint pas d'aborder les sujets qui fâchent (ce sont les seuls sujets dignes d'intérêt). Rien que cela suffit à faire souffler un vent de panique dans les rangs des gestionnaires du désastre qui ont pris l'habitude de nous parler comme à des enfants. L'inexprimable s'exprime enfin, l'indicible se dit à pleine voix, sans embarras, sans contournements, sans tous ces préalables-palabres dénégatifs et euphémisants dont se giletparballisent ceux qui ont oublié depuis longtemps qu'ils étaient mandatés par le peuple. Zemmour, lui, parle une langue que tout le monde comprend, parce que c'est une langue vivante, parce qu'elle défait les autres langues, et ça fait un bien fou : on respire à nouveau. 

Qu'un candidat à l'élection présidentielle parle de l'intérêt suprême de son pays et de son peuple, c'est-à-dire de leur survie semblerait la moindre des choses, dans un pays normal, dans une Europe normale, dans un monde normal, mais nous avons été habitués, depuis trente ans, à faire comme s'il était fatal de parler de tout sauf de l'essentiel, et à déléguer à de pâles gestionnaires sans âme le soin de ne pas nous représenter. 

Voici ce que je lis, à l'instant, dans le journal de Renaud Camus.

Zemmour déclare aussi que la remigration ne fait pas partie de son programme. Il est même allé jusqu’à dire qu’il n’avait jamais prononcé le mot, ce qui naturellement n’est pas exact. Bref, il recule. Mais s’il ne reculait pas il n’avancerait pas, et je tiens très fort à ce qu’il avance. De toute façon j’imagine qu’il n’arrive jamais qu’on soutienne un candidat ou un non-candidat à cent pour cent. On trouve toujours qu’on serait mieux que lui à sa place. Mais si j’étais à sa place je n’obtiendrais pas un pour cent des voix qui se préparent à se porter sur lui. Il faut donc faire ce que j’ai toujours fait, soutenir le candidat le moins éloigné de mes vues ; et cela d’autant plus que celui-là l’est beaucoup moins, éloigné de mes vues, que tous ceux et celles qui l’ont précédé dans mes suffrages.

Je suis parfaitement d'accord : si l'on attend d'être parfaitement d'accord avec un candidat pour le soutenir, ce soutien n'aura jamais lieu. (Éric Zemmour en est à un point où il pourrait dire à peu près n'importe quoi que je le soutiendrais toujours. Pourquoi ? Mais parce qu'il est le seul, pardi !)  J'aimerais par exemple que Zemmour parle de la passe sanitaire, bien sûr, mais à vrai dire, je m'en moque un peu, et même, je comprends qu'il n'en parle que si peu, ou si mal. Il y a quinze ans qu'on (il ?) attend de pouvoir parler du Sujet (essentiel), et il ne saurait être question de reléguer cette question, de la diluer, de retarder les effets qu'elle pourrait avoir sur un corps social tétanisé et désespéré. Et puis, sur cette question (de la passe sanitaire), il est comme tout le monde : tout le monde se trompe, sauf quelques individus que personne n'est disposé à écouter — pour l'instant. (Mais je ne développerai pas ce point ici car ce n'est pas le sujet.) Le bon pavillon, c'est la survie, et la survie ne saurait être négociable. 

Je l'ai écouté débattre avec Michel Onfray, à Paris, et j'ai été convaincu. Pas parce qu'il a réponse à tout, mais parce sa réponse est adossée à une vision historique qui la rend lisible, solide et incarnée. Zemmour n'a pas "des réponses", (ce sont les politiques qui ont des réponses), ni "des solutions", il a une réponse, c'est-à-dire une vision ; c'est ça qui étonne, c'est ça qui réveille. Tout le monde sent bien, à condition d'être de bonne foi, que sa tripe est viscéralement française. Peu me chaut, personnellement, qu'il vienne d'Algérie et qu'il soit juif : il a compris que la France était catholique de part en part — ce qui est presque impossible à dire, il le dit ! Même Yann Moix le reconnaît : « Tu as eu raison sur tout. L’Europe, les femmes, l’immigration. L’islam. Non, vraiment. Sur tout. » Il est "à l'heure", quand tous les autres retardent ou avancent, ce qui revient au même, ou, pire encore, n'ont aucune prise sur le temps qui s'abat sur nous sans ménagements. 

On peut le moquer, affirmer comme certain qu'il se prend pour Jeanne d'Arc ou de Gaulle, ça n'a aucune importance. On peut surtout faire mine de ne pas comprendre ce qu'il dit, et c'est à cela que s'affairent les piteux pantins qui sont jaloux de sa parole efficace, qui tabassent le totem patibulaire qu'ils inventent et dressent à côté de lui (ça ne prend pas : les Français ont dressé l'oreille, et ils vont continuer à écouter), ils sont énervés (à tous les sens du mot) et on les comprend : ils perdent les nerfs qu'ils n'ont jamais eus, face à quelqu'un qui montre qu'on peut dire autre chose que rien sans se décomposer en charpie médiatique. C'est un peu l'histoire du prof à qui l'élève d'un jour apprendrait à jouer de l'instrument que l'autre enseigne depuis quarante ans…

Comme le dit Boualem Sansal, la France dormait tellement bien, sans Éric Zemmour. Elle faisait des cauchemars, certes, mais elle barbotait mornement entre sieste et coma, gavée de benzodiazépines et de Prozac. La "cancel culture", chimique autant que politique, idéologique autant que psychologique, qui s'ajoute à la féminisation de la pensée et à la liquidation de l'histoire, n'annule pas seulement quelques gloires et quelques textes littéraires, n'agite pas seulement quelques grotesques pantins qui se contorsionnent dans un hystérique brasier, elle ronge par contaminations successives la tripe d'un peuple, dans ce qu'elle a de plus profond et de plus vif. On peut dormir et pourrir à la fois. C'est à quoi Zemmour s'oppose, frontalement, debout entre les couchés, avec un panache qui me plaît.