jeudi 30 mai 2019

Ligne claire

L'homme qui a écrit "La seconde carrière d'Adolf Hitler" ne pouvait pas cautionner une liste électorale dans laquelle la numéro 2 avait été prise en photo en prière devant une croix gammée. Cela, je le conçois parfaitement. Celui qui a théorisé le 'Remplacisme global' ne peut voir son nom associé à pareille image, certes. Et ce n'est pas seulement, ce n'est pas du tout une question de "réputation". C'eût été nier ou renier tout ce qu'il a écrit depuis vingt ans (et plus), ou, à tout le moins, en brouiller le sens auprès de ceux qui le lisent attentivement, comme c'est mon cas.

Pourtant, je ne voudrais surtout pas donner l'impression que je jette la pierre (c'est bien le cas de le dire, pour une qui a été prise en train de tracer des caractères dans le sable…) à Fiorina Lignier. Moi je n'ai rien écrit du tout, je n'ai rien théorisé, je me contente d'aller voter et de souffrir en silence, comme la plupart d'entre nous. Non seulement je ne lui jette pas la pierre, à cette jeune femme, mais je la trouve digne et courageuse. À vrai dire, qu'elle ait pu dessiner une croix gammée quand elle avait dix-huit ans et se faire photographier en prière devant elle sur une plage, ne me fait ni chaud ni froid. Je sais parfaitement que pour la jeune fille qu'elle était, ça n'avait aucun sens, si ce n'est celui, un peu idiot sans doute, de faire de la provocation devant ses amis. Elle a d'ailleurs dit ce qu'il fallait à ce sujet, et je la crois sur parole.

Je sais aussi qu'il existe indubitablement, qu'on le veuille ou non, une coupure générationnelle, qui partage les Français quant à cette question. Ces symboles, ces souvenirs, pour ceux qui sont nés avant les années 60, ont encore un poids et un sens impossibles à effacer, et ce poids et ce sens sont impossibles à transmettre, je le constate tous les jours. Je ne sais plus s'il faut absolument s'en désoler, je l'avoue. Quand nous sommes arrivés dans la vie, le nazisme était le Mal absolu, pour nos parents et pour nous : je me rappelle encore très précisément l'effroi que le syntagme "camps de concentration" faisait naître en nous. Depuis, on s'est aperçu que le Mal avait pris aussi d'autres formes, les génocides ou les tentatives de génocide ont fleuri un peu partout sur la planète, et la communication alliée à la déculturation a fait le reste. Notre époque, à nous les enfants d'après-guerre, était plus simple. Le Bien et le Mal étaient clairement distingués. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.

Est-ce que Renaud Camus a eu raison, ou tort, de quitter la Ligne claire ? Je suis incapable de répondre à cette question. Peut-être pourrais-je dire seulement que je comprends qu'il l'ait fait mais qu'il n'aurait pas dû. N'empêche. Sans lui, la forme, la perspective et le sens profond de ce combat ne seraient pas ce qu'ils sont. Il ne faudrait pas l'oublier. On peut juger que Renaud Camus n'est pas à sa place dans le combat politique, il ne s'en est d'ailleurs jamais caché. Le problème, pour moi en tout cas, c'est que le discours qu'il tient sur la réalité qui est la nôtre (et là, je ne fais pas allusion seulement au Grand Remplacement, mais à ce qu'il appelle le Petit Remplacement, le Remplacisme global), personne ne l'endosse. Tous les discours politiques que j'entends aujourd'hui sont incomplets. Ceux qui ont lu Du Sens comprendront de quoi je parle.