lundi 10 septembre 2018

Petit portrait en prose (16)


Avec elle c'était toujours l'après-midi. Une fille de la sieste, une fille allongée, une fille avec juste ce qu'il faut de mollesse pour qu'on aime être un homme. À moitié suisse, à moitié mexicaine, avec des fesses amples et mates. Elle parlait lentement, elle faisait l'amour lentement, elle jouait du piano lentement. Je posais ma tête entre ses cuisses, ma nuque sur son pubis très fourni, et j'entendais couler le temps, comme si elle avait pissé du temps sur moi, un temps aux arômes de lavande et de savon, un temps d'été interminable. Elle nous préparait du thym au caramel et venait me rejoindre sous la douche ; je collais ma queue contre son ventre un peu rond, je la prenais dans mes bras, et on laissait couler l'eau sur nous, comme une éternité jaune. Après, je la lavais, j'aimais laver ses fesses, son ventre, ses pieds. Elle prenait son sein à deux mains, le pressait en le regardant et le mettait dans ma bouche ; je me laissais étouffer paisiblement.

Quand on assistait aux conférences que Boucourechliev consacrait à Tristan et Isolde, je glissais ma main dans sa culotte, par derrière son dos, et j'enfonçais un peu mon majeur dans son cul. On faisait ça si calmement qu'on croyait vraiment que c'était le prélude de Tristan qui naturellement nous faisait bander, mais une bandaison sereine, sans tension, sans aucune projection vers l'acte sexuel. En ce temps-là on avait tout notre temps. Parfois, je sentais ses fesses se contracter un peu, sans plus. Elle avait le cul souriant, Anne, toujours. 

Elle habitait à Carouge, près de Genève, avait un petit côté Marilyn, dans la manière de mouvoir son corps, semblant se faufiler entre d'invisibles nuages. Entre les mots qu'elle prononçait et sa gorge, il y avait comme un retard, ou un écho. Je revois bien son derrière élastique mais je me rappelle mal son visage. Son con sentait le croissant tiède. 

Elle est repartie d'Aix-en-Provence en 4L, avec son amie Reine, petite blonde en sirop à la voix fraîche et étroite. Je les ai suivies du regard, on jouait à la pétanque. Ma Suissesse conduisait comme une reine sans protocole, elle n'était pas sentimentale, ni maladroite : église de chair qui glissait sur la terre.