dimanche 16 avril 2017

Semaine sainte


Herbe coupée et lilas, jeudi saint. 

Je passerai donc cette semaine sainte seul. Ça ne la dérange pas le moins du monde, elle ne voit pas le problème. 

C'est amusant, ces gens qui vous disent : mais tu n'écris rien de neuf, en ce moment, alors qu'ils ne jettent pas un coup d'œil à ce que vous leur envoyez quotidiennement. 

La parole… cette chose si fragile, si empêchée, si malmenée, si dévaluée, est devenue la "parlol". « J'vous ai dit ça, oui, et alors ? »

Odeur de l'herbe fraîche. Odeur du lilas. Chopin. Mozart. Jus de pommes.

« Tu me manques ! — Arrête de me culpabiliser ! »

Passion, donc. Passion. C'est cela le nœud. La passion de l'herbe coupée, du lilas en fleurs, la passion des chants d'oiseaux, la passion du désir à travers les heures creuses, creusées et pourtant jamais si pleines, inhabitées d'autre chose qu'elles-mêmes.

Si l'on pouvait voir les odeurs, on habiterait à nouveau dans le jardin d'Eden. Mozart. Écrire à neuf. La semaine est toujours sainte, quand on y est comme un enfant perdu qui cherche le sein de sa mère. « Pince-moi le bout des seins. » Par la fenêtre ouverte, je vois le néflier, l'herbe coupée, et j'entends les sons du soir qui vient. Luna est bien tranquille dans sa tombe.

Parfois, on écoute parler quelqu'un, on écoute vraiment, et ce qu'on entend a l'air d'avoir été écrit par trois ou quatre scénaristes différents qui auraient travaillé sans se concerter, comme si notre interlocuteur avait pioché un peu au hasard dans les fiches incomplètes qu'il tient sur sa propre vie.

Si je lui dis qu'elle me manque, qu'est-ce que je veux dire exactement ? La vérité est que je veux surtout qu'elle entende qu'elle me manque.

Le E de dessein, qu'ajoute-t-il au dessin ? Le désir. Cette voyelle muette remet de la chair sur le croquis. Les constellations remarquables s'ordonnent selon un vœu, celui du manque. L'élan de la passion est un destin, celui de la liberté. On peut toujours refuser une passion.

Entre le goût (gusto) et le juste (giusto), il n'y a que peu de choses, de même qu'entre le goût (taste) et le tact (le touché, la mesure). Je suis content d'avoir enfin trouvé, dans le merveilleux Dictionnaire des Intraduisibles, de Barbara Cassin, quelque chose qui me conforte dans mon intuition de toujours. « Ainsi l'abbé Trublet n'accorde un rôle actif au sentiment du beau qu'à ceux qui possèdent une véritable culture : “Les arguments demandant une instruction, il appert que l'appréciation du beau appartient en premier lieu aux gens possédant un goût cultivé : le dilemme est tranché en leur faveur.” Mais la thèse originale de son livre est que plus le goût, c'est-à-dire le goût cultivé, se développe, plus le sentiment et la raison sont appelés à se fondre. » La raison et le sentiment, unis enfin, à force de culture, de goût éduqué, affiné, distingué, mûri par les générations qui ont déposé cette intelligence instantanée au sein de quelques individus.

Lente montée au calvaire. J'ai deux jours de retard sur le programme. Le jour de la Résurrection, j'ai envie de vomir toutes mes tripes. Fièvre intense, douleurs partout, peau gercée comme si l'on l'avait râpée, maux de tête qui empêchent de dormir. Pourquoi est-elle venue dans ma vie ? Pourquoi ? Choral de la douleur. Aucune musique ne m'apaise. Les sons m'arrivent par le cul. La musique me tue.

Fais-moi une place, Luna.