mercredi 8 juin 2016

Bérangère et les valeurs sûres



Elle me dit : « Ah mais je ne suis pas du tout d'accord ! » Il ne s'agit pas d'être d'accord ou pas d'accord, il s'agit de parler français.


J'adore quand des bien-pensants, sur Facebook ou ailleurs, parlent de "sites d'extrême-droite" qui délivrent des nouvelles qu'ils (les bien-pensants) ne voient nulle part ailleurs. Des nouvelles qu'on ne voit nulle part sont forcément suspectes, pour ces gens-là, qui s'abreuvent sans doute à la télévision, à Libé ou dans les journaux de référence.

Il m'est arrivé à de nombreuses reprises de faire de la "réinformation", c'est-à-dire de diffuser de ces nouvelles que les "grands médias" ne trouvaient pas assez nobles pour être communiquées aux Français, et, à de nombreuses reprises, on m'a fait ce même reproche : « Mais votre truc, là, vous le tenez d'un site d'extrême-droite ! » Eh, est-ce de ma faute, moi, si les sites "non d'extrême-droite" ne veulent pas en parler ? Sans compter que très souvent, c'est simplement faux. En fait de "sites d'extrême-droite", il s'agissait seulement de sites qui se contentent de diffuser des informations trouvées dans… la presse régionale. Bon, et puis même si c'est un site vraiment d'extrême-droite, est-ce pour cela que l'information est fausse ? Je ne vais pas reprendre le vieux cliché, mais tout de même, si Adolf Hitler dit qu'il fait beau un jour de grand beau temps, va-t-on s'empêcher de dire la même chose que lui au prétexte que c'est lui qui l'a dit (à condition de bien vouloir considérer que "l'extrême-droite" est forcément hitlérienne, ou qu'Hitler était d'extrême-droite, ce qui est  discutable…) ? Je sais, il est désagréable de dire la même chose qu'un con, par exemple, ou qu'un salaud, mais avouez que ça arrive ! 

Mais quel admirable système, quand on y pense ! Une nouvelle vraiment nouvelle, c'est-à-dire qui n'a pas ce caractère de marronnier insipide, une nouvelle qui n'intéresse pas (seulement) le Paris du onzième arrondissement, ou du Marais, est tout simplement une non-nouvelle que seuls des sites forcément louches peuvent avoir le culot de communiquer à leurs lecteurs. Et si, en plus, il s'agit d'une information qui a un caractère de mauvaise-nouvelle, c'est-à-dire qui contredit la doxa du Parti dévot (la Gauche divine), c'est non pasaran. Une nouvelle idéologiquement désagréable n'est PAS une nouvelle, elle est donc forcément suspecte, et, dès lors, attribuée à "L'EXTRÊME-DROITE", puisque la seule chose dont il convient de se méfier réellement, en régime dévot, c'est L'EXTRÊME-DROITE. Votre nouvelle est donc automatiquement décrédibilisée, suspecte, ce qui permet de s'en débarrasser sans ambages. En fait, l'idéologie se débarrasse de ce qui pourrait la gêner en prenant le prétexte de l'idéologie ; joli tour de passe-passe. Le "doutuparle" poussé au paroxysme, ça donne un monde où plus personne ne parle vraiment. 

On pourrait a contrario penser qu'une nouvelle qu'on ne voit nulle part ailleurs est une nouvelle brûlante, qui dérange, qui inquiète, et qu'il y a donc lieu de révéler… Mais ça, c'était avant, avant que le gauchisme ne s'institutionnalise et que l'idéologie remplace la politique et la recherche du sens, avant que prendre des vessies pour des lanternes soit devenu le réflexe conditionné qui vous sauve de l'infâme et de la mauvaise réputation.


Toutes les querelles, non, j'exagère, pas toutes, mais la très grande majorité, disons 97% des querelles sont des disputes crées presque entièrement par le langage, par le(s) défaut(s) de langue, par l'incommunicabilité, par la difficulté énorme qu'ont les gens, de plus en plus, à se comprendre entre eux, et même… eux-mêmes. Je vérifie ça dix fois par jour et cinquante fois par semaine. 


Le droit du sol (blanc) sera supprimé, et remplacé par le droit du sol dièse (noir). Ah, merde, c'est pas ce qui était prévu !


B. : « Mais enfin, on peut pas faire de différence, tous les métiers se valent ! »
Moi : « Ah bon ? Allez demander ça à un ouvrier à la chaîne ! »
B. : « Je suis désolée, mais tous les métiers se valent ! »


Les clichés souvent parlent à notre place, c'est plus fort que nous. Le dentiste te demande ce que tu lis. Tu lui réponds. Il réplique : « C'est une valeur sûre. » Et là, tu t'entends répondre que « le nouveau roman a tout de même mal vieilli. » Mais pourquoi je dis ça, moi ? Ce n'est pas du tout ce que je pense ! Ou plutôt si, je le pense un peu, mais, en l'occurrence, ce roman-là, celui que j'avais dans son cabinet, je ne trouvais pas qu'il avait tellement vieilli, et même, en un sens, pas du tout. Et d'ailleurs, est-ce que je le pense tout court ? Rien n'est moins sûr. De toute façon, on a du mal, aujourd'hui, un demi-siècle après, à savoir exactement ce qu'est le nouveau roman. Mais, certes, Robbe-Grillet, et ce Robbe-Grillet-là (La Jalousie), en particulier, c'est indéniablement du nouveau roman. Alors pourquoi ai-je répondu ça ? Pourquoi ça a répondu cela, à travers moi ? Sans doute parce que, pris de court ("valeur sûre" ?), je n'ai pas su quoi répondre. La "valeur sûre" m'a déstabilisé, c'est vrai. Valeur sûre, Robbe-Grillet ? Comment ça, valeur sûre ? J'aurais eu un Stendhal, un Flaubert, un Balzac, un Chateaubriand (encore que là, il n'aurait sans doute pas parlé de "valeur sûre" (ou peut-être que si ?)), voire un Simenon, un Racine, un Proust, un Pascal, bon, j'aurais entendu « une valeur sûre » sans me démonter ; je ne sais pas ce que j'aurais répondu mais je ne me serais pas démonté. Bon, je n'ai pas su quoi répondre, d'accord, mais ça n'explique pourtant pas pourquoi ce cliché m'est venu aux lèvres. (Et d'ailleurs, tiens, aurait-il dit la même chose de Duras, Claude Simon, Robert Pinget, ou même Nathalie Sarraute ? Sont-ce des "valeurs sûres" ? Non, il a bien dit cela en voyant un livre de Robbe-Grillet (chez Robbe-Grillet, La Jalousie est sans doute un de ses plus fameux romans, c'est vrai (est-ce que cela veut dire qu'il ne connaît que ce roman-là de Robbe-Grillet ? (Aurait-il pu dire la même chose des Gommes ?))). Tout de même, Robbe-Grillet n'est pas le plus célèbre auteur de ce qu'il est convenu d'appeler nouveau roman (enfin si, mais seulement pour les amateurs de nouveau-roman) ! Robbe-Grillet, lecture de dentiste ? Pourquoi pas, en somme, mais si vraiment il lit Robbe-Grillet, que lit-il à côté de Robbe-Grillet ? (Beckett, Duras, c'est possible, Pinget, Butor, c'est déjà moins probable…Claude Ollier, non, quand-même pas… (Au fait, Perec est-il un auteur de nouveau-roman ?))) Pourquoi un cliché nous vient aux lèvres, ou plus exactement, pourquoi tel cliché nous vient aux lèvres en telle occurrence ? [Valeur sûre => vieillir…] Il semblerait que j'aie voulu (un peu sottement) le contredire, mais le contredire sans le contredire. Oui, il s'agit bien d'une valeur sûre, je suis d'accord avec vous, mais tout de même, une de ces valeurs sûres qui sont susceptibles de vieillir ? Mais une valeur sûre peut-elle justement vieillir ? Une valeur sûre, c'est un classique, en somme, et un classique, chacun sait que ça ne se démode jamais. En même temps, dire d'un "nouveau roman" que c'est "un classique" est peut-être un peu osé (non, pas forcément, un genre qui en son temps a voulu être neuf (même radicalement) ne peut pas prétendre l'être un demi-siècle après (mais il n'est pas non plus certain qu'il ne puisse pas le rester, après tout)). Je suis d'accord avec vous mais pas complètement. D'ici à penser que je ne l'ai pas pris tout à fait au sérieux, il n'y a qu'un pas. (J'avais déjà remarqué, au premier rendez-vous, que ce dentiste semblait s'intéresser à ce que je lisais : j'avais donc en moi plus ou moins consciemment le sentiment qu'il s'agissait d'un dentiste "littéraire". Mais précisément, cette manière de sembler s'intéresser à ce que lit son patient (la première fois, je crois que j'avais avec moi les Récits de la Kolima) n'est-elle pas un peu démonstrative, un peu trop pour être authentique ? Est-ce d'une pose qu'il s'agit ? (Quand deux êtres se parlent, ils échangent des mensonges. Pas des mensonges purs, des mensonges 100% mensongers, mais pas non plus de vérités 100% vraies. La vérité se fraie un chemin à travers le mensonge, toujours ; elle s'en détache, plus ou moins nettement, elle vient à la surface pour respirer, avant de repartir dans les profondeurs, qui sont peut-être sa véritable demeure. Heureusement que la vérité n'a pas de branchies !) Et, s'il s'agit d'une pose, s'agit-il d'une pose qu'on pourrait qualifier de "réactive" (on peut imaginer qu'il existe deux sortes (au moins) de poses : la première, de premier degré, consiste à vouloir simplement donner une certaine image de soi ; la seconde, qui n'agit qu'en réaction à l'image donnée par la personne qui nous fait face, consiste à se rebeller contre une supposée discrimination : vous êtes un littéraire, vous (valeur qui, jusqu'à il y a peu, était encore intériorisée, au moins par les gens qui ont au minimum mon âge, comme positive), je vais donc vous (dé)montrer que je le suis (au moins autant que vous)) ? Est-ce que c'est cette impression-là qui m'a conduit à réagir à l'aide d'un cliché, et d'un cliché qui, en plus, ne dit pas ce que je pense (car il est également possible de s'enrôler sous la bannière d'un cliché qui nous correspond) ? J'aurais ainsi inconsciemment réagi par un semi-mensonge (le cliché) à un autre semi-mensonge (la pose réactive) ? 



La jalousie a vieilli en moi. Elle s'y est épuisée. Ou alors elle est tellement et profondément enfouie, comme la vérité, que je n'en possède qu'un souvenir un peu fatigué. Mais qui sait, peut-être n'est-elle endormie que pour mieux se réveiller, plus vivace et dangereuse que jamais. Pour l'instant, du moins, elle est comme ce mari qui voit tout mais qu'on ne voit jamais, qui décrit ce qu'il voit, et ce qu'il voit c'est son absence à lui, et la place démesurée que prend l'autre à la fois dans les signes émis par sa femme et les signes auxquels elle est sensible. La jalousie fait plus mal qu'une dent arrachée, elle m'a terrorisé, quand j'étais plus jeune.