Parfois, quand j'avais envie d'être heureux, j'allais regarder à travers la vitrine les femmes qui marchaient, ou couraient, sur des tapis mécaniques, ou pédalaient devant des machines qui retenaient toute leur attention, bien qu'elles aient généralement des écouteurs vissés aux oreilles. Elles avaient l'air si absorbées dans leur activité sportive qu'elles semblaient ne pas me remarquer. Elles transpiraient beaucoup et parfois portaient à la bouche une petite bouteille d'eau qu'elles avaient disposée à portée de main. Je les regardais en me disant que, dans une autre vie, moi aussi je ferai du sport, et j'apprendrai à danser, et aussi le fado. Mais pour l'instant, je me disais que tout cela manquait d'harmonie. Ces femmes qui faisaient leur sport sur des machines bourrées d'électronique faisaient naître en ces lieux à la fois une grande monotonie et un manque patent d'harmonie. J'avais envie d'entrer pour leur dire, pour les prendre en main, pour ramener un peu d'harmonie dans cette salle, mais je savais bien qu'elles ne me comprendraient pas, que mon désir était vain et sans objet, alors je ne faisais rien, je ne disais rien. Pourtant, il y avait de la beauté, dans ces corps fatigués, martyrisés, il y avait même de la beauté dans ces femmes qui voulaient lutter contre la mort, contre l'avachissement de leurs chairs, contre l'affaissement inexorable des tissus, contre la décrépitude implacable qui les menaçait toutes, et l'on voyait dans toutes ces femmes le même air un peu buté, un peu pitoyable, un peu désespéré, qui les poussait à venir se mortifier ensemble pour que ne s'enfuie pas trop rapidement le désir d'un mari ou d'un amant. Elles étaient un orchestre sans chef, un orchestre qui faisait de son mieux pour jouer une partition que personne ne connaissait, et dont le chef toujours absent était un tyran lui aussi ridicule, encore plus ridicule que ces corps qu'il soumettait. Ce chef invisible les gardait d'autant mieux sous son regard qu'il ne les regardait pas. De toute façon, dans la vie, si l'on veut avoir quelque chose, il faut se battre, non ? Elles avaient l'air épuisées, vraiment épuisées, et ce qui les épuisait surtout était sans doute cette injonction permanente à ne jamais pouvoir se montrer épuisées, ni à la maison devant le mari, ni devant les autres femmes, les collègues, ni devant les enfants, et même pas devant les amies. La seule chose finalement qu'elles pensaient avoir réussie, c'était le fait de ne pas être seules. Elles étaient en couple, elles avaient une famille, des enfants, un mari, ou au moins un petit ami, un compagnon. Tout était subordonné à cela. On pouvait renoncer à beaucoup de choses, mais pas à cela. On n'en parlait presque jamais mais c'était le kilomètre zéro de toutes les routes de la vie normale. En regardant ces femmes à travers la devanture, je pouvais voir qu'elles avaient toutes très peu vécu, indépendamment de leur âge ; elles avaient l'allure adolescente d'une adolescence qui n'en finirait plus de durer, jusqu'à la mort peut-être bien. Regardant toutes ces femmes à travers la devanture, j'entendais en moi comme une rumeur qui provenait d'elles, une rumeur qui disait quelque chose comme : « Je ne suis plus toute jeune, je vais mourir un jour. »