mardi 26 novembre 2013

Le Petit Nègre, de Claude de France !


Physiquement, elle ressemblait autant à Mireille Darc qu'à Annie Cordy. Très grande, avec des mains gigantesques pour une femme (la onzième facile), elle parlait comme Françoise Sagan, dans son début de barbe. Un soir, nous avons joué les danses hongroises de Brahms, et du Gerswhin, à quatre mains, et j'ai failli tomber de mon siège tellement elle occupait l'espace, au sens propre et au sens figuré. Je n'oublierai jamais cette répétition où sa tourneuse de page attitrée avait dit que « j'accélérais ». Evidemment, quand on joue avec quelqu'un qui n'a aucun sens du tempo et dont il faut rattraper les erreurs de rythmes à chaque ligne, il peut arriver qu'on devienne un peu nerveux. Elle avait travaillé avec Yves Nat au conservatoire et en avait gardé ce précepte excusant tout : « Ce qui compte, dans la musique, c'est l'élan ! » Moyennant quoi tout ce qui sortait de ses grandes mains était une élégante bouillie. Son mari, silencieux comme le sont les maris de ce genre de femmes, conduisait les plus puissantes BMW et a fini par la larguer pour une de ses très jeunes élèves. Il est sans doute très bavard à l'heure qu'il est. N'empêche, elle était attendrissante, et s'était mise sur le tard à la colle avec un vieil alcoolique très sympathique qui tenait à peine sur ses cannes. Lui avait une fille de douze ans je crois, ou à peu près, se prénommant Deborah, qui m'avait dragué ouvertement et franchement, un soir qu'elle était assise à côté de moi au fond d'une voiture. Heureusement le trajet n'avait pas excédé les vingt minutes.

Je pense souvent à elle, et à ce soir, au conservatoire, où elle avait présenté sa classe de piano dans un petit concert public. Un de ses jeunes élèves devait jouer l'un des grands tubes des conservatoires, une pièce de Debussy qu'on travaille à cet âge-là. Quand il s'est installé au piano, elle a voulu présenter l'élève et le morceau, ce qui donna à peu près : 

« Machin Truc va maintenant nous interpréter… [là, silence, bredouillement, rougeurs]… le Petit Noir, de Claude Debussy. » Fou rire général au premier rang… C'était il y a plus de vingt ans, c'était le début du Politiquement Correct intégré