vendredi 15 mars 2013

Pour l'introduction de l'énéma dans la blogosphère



Pierre Labouche l'appelle l'écrivain pour dames.


Quand XY se contente d'écrire sans prendre la pose de l'écrivain qu'il n'est pas et quand il ne nous raconte pas d'une manière particulièrement odieuse sa vie privée (et celle des autres) par le détail, quand il ne fait pas le malin (c'est rare) avec ses énormes métaphores d'adolescent en mal de reconnaissance, il est loisible de le consulter avec profit, comme dans ce billet récent, si l'on prend soin de lire en diagonale les neuf premiers paragraphes d'un texte qui aurait gagné à être sérieusement dégraissé. (C'est triste, ces blogueurs qui croient être doués d'un "talent" qui est précisément ce par quoi leur prose sent la mort et la fabrication laborieuse, et que certains encouragent  de façon irresponsable et presque criminelle.) 


Aujourd'hui, je me relis, je relis l'écrivain pour dames, et je me dis que non, décidément, ce n'est pas possible, il n'y a à peu près rien dans son texte, une fois qu'on a enlevé le stuc et la glu des mauvaises métaphores, une fois qu'on a évité les poses longues durées où il se regarde dans le-miroir-à-écrivant qu'il emmène partout avec lui. Tout se casse la figure, ou, pire, tout devient affreusement transparent, à la deuxième lecture. Et ce qu'on aperçoit derrière est tellement triste qu'on ne peut que refermer le couvercle du blog en question en essayant de penser à autre chose. 

Penser à autre chose, ça ne devrait pas être bien difficile, justement, me dit Nicole, en train de me sucer sous le bureau, pendant que mijote le veau aux carottes qu'elle est venue me préparer à domicile. Nicole, je te l'ai dit cent fois : dans le veau aux carottes, il faut absolument un pied de veau. Bon, je reconnais que cette fois-ci tu as pensé à la tomate, on est en progrès. 

Elle tient un blog, Nicole, un blog qui traite de la fessée, la fessée pour adultes, la seule encore permise aujourd'hui. Nicole a de jolies fesses roses, les fesses de quelqu'un qui aime les carottes. Nicole est de Marseille. Nous nous étions rencontrés à un stage de musique de chambre dans lequel un immense violoncelliste que nous nommerons B. avait une passion étrange qui concernait les jeunes filles. Le Maître avait donc écouté jouer Nicole, il l'avait félicitée, avait fait quelques remarques sur sa technique et son jeu, comme avec chacun des autres participants, et avait ajouté qu'il lui manquait éventuellement un "petit quelque-chose", et qu'il se faisait fort de lui révéler un secret très utile d'ici la fin du stage. Nicole était aux anges, on s'en doute. Le soir-même, elle retrouvait sa compagne de chambre — nous étions logés dans un grand château glacial dans le sud de l'Angleterre, garçons et filles séparés — en larmes. Après d'inutiles tergiversations bien féminines, Aurélia, qui avait deux ans de plus que Nicole, lui raconta ce qui la plongeait dans une sorte de désespoir nerveux. 

B. lui avait tenu à peu de choses près le même discours qu'à mon amie. Cependant, les choses étaient plus avancées, pour Aurélia. Avant le dîner, elle était allée, à la demande de B., le rejoindre dans ses appartements, pour y être initiée au petit secret de celui-ci, secret qui devait définitivement la faire accéder sur son instrument à un stade artistique supérieur. Le Maître l'avait très bien reçue, lui avait offert un verre de whisky qu'elle n'avait pas refusé, puis lui avait exposé tranquillement la chose. Sa théorie était que certaines jeunes filles, déjà bonnes musiciennes, avaient pourtant un jeu de constipées (ce n'est pas le mot qu'il utilisa). Il était fort bien élevé et n'aurait jamais dit à ses étudiantes ce qu'un Emmanuel Krivine par exemple dit fréquemment à ses musiciens d'orchestre : "Vous jouez avec un balai dans le cul, Mademoiselle !", ou ce genre de choses, mais il avait sa manière à lui de se faire comprendre. Lorsque Aurélia reposa son verre de whisky, elle remarqua, posé sur un coussin, un ustensile qui l'intrigua, une espèce de poire munie de deux longs embouts, sorte de petit serpent rose qui semblait en train de digérer une pomme. Quand Nicole me raconta l'histoire, je ne pus m'empêcher de l'interrompre pour lui apprendre qu'on appelait cela un énéma. B. expliqua posément à Aurélia que la seule et unique chose qui pourrait améliorer son jeu de violoncelle était un lavement, et il se levait déjà pour se rendre à la salle de bains quand la pauvre fille prit ses jambes à son cou.

Les affaires de tuyauterie sont fondamentales, au moins depuis Vatican II, sinon depuis les Grecs. Être constipé, éjaculateur précoce, ou incontinent, on y vient un jour ou l'autre. Les plombiers et les prêtres ont été remplacés par les blogueurs et les médiâtres, mais cela ne marche pas aussi bien, loin s'en faut. La plupart des femmes ont besoin d'une bonne fessée, beaucoup plus que de mots et de conseiller en communication. Une fessée administrée avec art remet l'appareil symbolique en ordre de marche avec une économie de moyens remarquable.

Nicole, à défaut d'avoir été sondée par un maître anglais du violoncelle, a au moins compris cela. Elle n'est pas la meilleure violoncelliste du monde, mais pratique la fellation avec une virtuosité de professionnelle. La plupart des femmes ne savent pas phraser une fellation, c'est malheureux à dire mais il faut bien que quelqu'un le dise. La plomberie c'est pareil : vous préférez le plombier Michelangeli ou le plombier Arrau ? Ça n'a rien à voir, figurez-vous. Il ne faut pas encourager les mauvais artisans, il faut les décourager à tout prix, il en va de leur santé, et accessoirement de la nôtre. Les femmes sont des amateurs en ce qui concerne la sexualité, je suis désolé mais c'est un fait mieux établi que le réchauffement du climat. Vous n'allez tout de même pas me demander s'il existe un rapport entre l'art de la fellation et la fessée ? Si ? En tout cas, je l'ai maintes fois constaté, il y a un rapport direct entre le sens du rythme et les châtiments corporels. Les "arythmiques" sont légion de nos jours, et ce n'est pas un hasard si ce qui tient lieu de musique a cessé d'être ternaire ou même binaire pour devenir ou redevenir une sorte de ressassement unaire, à une époque qui a peur des baffes comme du diable. On peut gloser interminablement sur ce qu'est le phrasé, mais dans le fond, c'est très simple. Il s'agit seulement de savoir répartir la douleur et le désir selon un rythme adapté au sens. Il suffit donc de ne pas être bouché.