dimanche 17 mars 2013

La Barbe à Chris



« L'ennui avec les bons sentiments, c'est qu'ils conduisent tout droit aux mauvais. » (Patrick Besson)

Georges est content. Mais alors content ! Trente ans qu'il attendait ça. On peut dire qu'elles y ont mis le temps, ces connasses ! Nous sommes en 2013, il aura fallu attendre que Hollande se pointe et que Benoît XVI se retire pour qu'une pauvre tarte du nom de Chris Blache y pense ! À croire que le vieux nazi à la grosse bagouze l'intimidait, la Chris ! Vous avez noté le prénom, je suppose ? Chris… Chris-quoi ? Chris tout court, comme dans Chris et Bégaiements. Ni Christian, ni Christine, ni Christophe, ni Christelle. Ça va pas la tête, la/e Chris elle/il veut pas qu'on l'assigne, point barre ! Chris et Chris sont dans un tableau, Chris pince Chris, qui tombe à l'huile ? Personne ne tombe, puisqu'il n'y a ni haut ni bas dans le tableau de Chris. Chris n'est ni mi ni moi, ni beauté ni laideur, ni jeunesse ni vieillesse, ni masculin ni féminin, ni ceci ni cela, ni une ni deux. M'assigne pas, pov'con ! Chris veut supprimer le 1 et le 2. Commence direct à 3, ou 4, je sais plus. Dire qu'il y en a qui se sont fait suer à inventer le 0, qui trouvaient qu'on n'avait pas assez de chiffres, et Chris il/elle trouve qu'il y en a encore trop, qu'il faut entrer dans le vif du sujet sans passer par la case genre (ou sexe, je sais plus). C'est con, c'était le seul chiffre que je retenais, moi, dans mon numéro INSEE, le premier, donc le 1, puisque j'avais encore le très mauvais goût de croire que j'étais un mec, elle/il est pas pour les préliminaires genrés, Chris, il/elle mange pas de ce pain-là, d'ailleurs à mon avis, elle/il ne mange pas de pain du tout, c'est trop ringard le pain, too french, la baguette (sic), et puis quand on y réfléchit bien, est-ce que par hasard ça ne ferait pas référence, comme ça, l'air de rien, à l'eucharistie, le pain, le vin, mon corps, son sang, ton sex-toy, les boulangeries sont des crypto-chapelles où l'on vend des phallus blancs, c'est in-sup-por-table ! Je ne peux que lui donner raison, à Chris, car à chaque fois que j'entre dans une boulangerie, j'ai une érection, toutes ces miches, cette pâte molle ou croustillante, ces brioches qu'on a envie de téter, ces religieuses qu'on a envie de défroquer, ces têtes de nègre qu'on a envie de couper d'un coup de dents, cette boulangère qu'on a envie de pétrir dans le fournil, c'est vraiment dégueulasse, toute cette ambiance mystico-sexuelle, ça devrait être interdit. Si je peux raconter un souvenir personnel, c'était rue Saint-Antoine, à Paris, tout près de la Bastille, sur le trottoir de gauche en venant de la place, une boulangerie où les baguettes étaient délicieuses. Il y avait là une belle black plantureuse qui me faisait rêver. Un jour, je retire de l'argent au distributeur de billets, juste à côté, on est en été, il fait beau et chaud, elle est dehors, elle vend des glaces, elle a un décolleté profond dans lequel je m'abîme. Je lui souris, elle me sourit, elle me dit : « Vous pensez à moi ? » Moi : « Bien sûr ! » Le soir-même, je l'attendais à la fermeture et je l'emmenais chez moi pour lui faire l'amour. En réalité, comme à chaque fois, ou presque, dans ma vie amoureuse, les choses avaient commencé par un malentendu. Elle ne m'avait pas dit : « Vous pensez à moi ? » mais « Vous en prenez pour moi ? » Heureux les malentendants ! J'ai oublié son prénom mais je me rappelle encore un long poil fascinant qui lui partait du nombril pour se perdre… Bref, j'ai toujours aimé les boulangères. Mais revenons à nos chiffres. 

Il est donc insupportable à Chris que le 1 précède le 2, et cette succession que l'on pourrait croire innocemment algébrique (si l'on était un innocent un peu attardé) n'est que l'un des très nombreux pièges dans lesquels cette ordure de mâle attire la femme pour lui faire avouer qu'elle n'est qu'une infirme sans testicules ni cerveau. Les modernes en général haïssent l'héritage et les héritiers en particulier, puisque les modernes aiment tout recommencer à zéro chaque lundi matin. Les modernes détestent également les hiérarchies, les petites hiérarchies et les grosses hiérarchies, les modernes détestent les classements, les rangements, les catégories, les sexes, les modernes détestent les nations (puisqu'elles prétendent installer une hiérarchie entre nationaux et étrangers), les traditions, les souvenirs, la nostalgie, l'histoire, la musique, l'art, l'éducation, la politesse, l'ordre, la campagne, le silence, les modernes détestent à peu près tout, sauf eux-mêmes et le présent ; en fait, les modernes haïssent d'une haine féroce le Temps ! Donc la culture. On pourrait donc croire que détestant la culture, ils aiment la nature, mais ce serait bien naïf. Ils n'aiment ni l'un ni l'autre car ils détestent avant tout les oppositions, les successions, et finalement la différence, bien qu'ils n'aient que ce mot-là à la bouche. Depuis que nous sommes sommés de prononcer ce vocable au minimum cinq fois par jour sous peine de procès ou de dénonciation à la milice ortho-médiatique, le monde est devenu complètement in-différent, et depuis que la Diversité a envahi nos rues et nos discours, le monde est devenu totalement in-divers, ce que le métissage généralisé promet et promeut à sa manière biologiquement correcte. Mais Chris Blache voit plus loin, Chris Blache voit plus profond, et Chris Blache débusque la souche infectée jusque dans les nombres, jusque dans la statistique Carmille, elle traque le "signifiant sexué" jusqu'en ces ultimes replis hiérarchiques. Écoutez cette langue admirable : « En transformant l’unité familiale, avec l’homme comme chef de famille, en produit statistique, l’Insee installe durablement dans notre ADN un «signifiant sexué» qui calcifie aujourd’hui encore notre modèle social. Et l’on voit combien la formalisation de ces normes continue de faire obstacle à une transformation sociétale pourtant en marche depuis la fin des années 50. » "L'homme comme chef de famille", ce vieux coup de calcaire, cette scorie de l'ère glaciaire, sinon glaciale, voilà l'Ennemi de Chris. À ce résidu des temps historiques, c'est-à-dire maudits, à la Norme, véritable démon grimaçant qui la réveille en sursaut chaque nuit, à la Classification, son rejeton débile et hideux, Chris oppose le 3, ou, mieux encore, rien, l'absence, le vide, le silence statistique, le soupir chiffré qui annonce la paix du sexe, l'ataraxie des genres, l'armistice des dominations, qui seul admet l'Avancée sociétale, ce Nirvana qui berce Chris Blache et lui permet de se rendormir dans la paix morale, cette banlieue chic où elle demeure.

Dans le fond, en lisant Chris, on sent bien qu'elle est une héritière à sa manière, une héritière qui s'ignore, sans doute, mais une héritière quand même. Elle est de ceux qui ne se sont jamais remis d'avoir perdu le Maréchal Pétain, parce que ce Pétain-là leur donne des motifs d'indignation qu'ils ont du mal à trouver ici et maintenant. Alors on les voit creuser, sous la lune pâle, dans leurs potagers déserts. Ils creusent le passé, tremblants de fièvre, pour en rapporter des ossements blanchis qu'ils brandissent ensuite comme le saint sépulcre dont ils recouvrent la caverne où ils se terrent en hurlant. Cette caverne, ils l'appellent le futur.